Aloha (par Sandrine Ferron-Veillard)
Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning ! Je suis à peu près sûre que vous ne savez pas situer sur une carte, Kalapana, Pahoa, Big Island. Quand même ! Hawaii. Ça y est, vous y êtes ! Appelée aussi Le Nombril du Monde. Kalapana, c’est assurément le bout du monde. J’y suis allée pour écrire. Et au bout de deux jours, j’ai cherché s’il n’y avait pas un cimetière d’écrivains Français. Epitaphe : ils n’y ont pas survécu.
À l’isolement.
Davantage qu’aux coulées de lave du volcan qui, depuis trente-cinq ans, assure à Kalapana, à peu près tous les quatre à huit ans (petite prédilection à creuser pour les chiffres pairs) un spectacle pyrotechnique des plus réussis. Résultat : il faut tout reconstruire.
Je vous épargne les détails de ma folle épopée pour arriver jusqu’à Kalapana, vingt-quatre heures, non pas de voyage mais de retard, tu ne sais pas quand tu pars, tu ne sais quand tu arrives, tu ne sais pas si c’est toi qui pars ou ta valise, slogan subliminal de ladite compagnie aérienne entre Miami et Big Island.
Puis, cent-soixante-dix kilomètres entre l’aéroport et mon bungalow, deux bus (heureusement, c’est gratuit), six heures de trajet pour arriver à huit heures du soir, débarquée sur le bord d’une nationale, à Pahoa. Pas de taxis. Et plus de bus naturellement. Seize kilomètres à pied. Compter cinq heures de marche. Non, ce n’est vraiment pas prudent surtout avec une valise noire.
J’ai donc remercié Providence, c’était son prénom, qui a eu pitié de moi et m’a pris en stop, d’accord, en zigzaguant un peu, pétard, bière et autres substances magiques dans son réservoir offertes par Mère Nature.
J’en ai de la chance.
Deux semaines moins un jour, logée sur une coulée de lave, lisse et douce, magnétique assurément, mystique, cosmique, entourée de Hippies. Des Hippies meilleurs que moi, évidemment. Moi, j’ingère du cadavre, du sucre et du gluten, je cautionne le système, j’habite à Miami, la fête, les cocktails, les multinationales, l’avion, la 5G, les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle qui me caramélise le cerveau. Je détruis des forêts pour imprimer mes bouquins. Je gaspille des galions d’eau pour mes cafés latte, pour me laver, évacuer mes selles et mes urines, me brosser les dents, me démaquiller et quant à mes fringues et mes chaussures, n’en parlons pas, c’est un scandale bref. Eux, ils s’autosuffisent sans être suffisants, pas de déchets, ils sont bios et en bonne santé, pas d’empreinte négative sur la planète. Ils possèdent le secret de l’harmonie et du vivre ensemble. Bien cultiver son jardin. Aloha !
Ils sont quand même un peu gris, surtout en fin de journée. Ils carbonisent leurs neurones, juste autrement, ils polluent leurs poumons et les miens avec, lorsqu’ils me dépassent avec des véhicules tressautant. Estampillés années 80 ou au bord de l’agonie. Ils sont tous sales, drogués, addicts, défoncés, stupides après huit heures du soir. Prêts à se sauter dessus pour régler leurs comptes. Fruits volés, nanas en cloque, terrains spoliés, et autres petites affaires humaines. Pas un pour relever l’autre. Bref, personne n’est meilleur. Tous voués à terminer sous un cocotier, en tout cas sous un arbre avec, au mieux, une jolie phrase sur le ventre, au pire un géranium en plastique. Et c’est la même histoire même si on privilégie l’incinérateur, plus économe certes mais pas forcément plus écologique.
Nos petits paradoxes humains sont décidément éternellement renouvelables en tout point du monde.
Sandrine-Jeanne Ferron
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