Allegra, Philippe Rahmy (2ème critique)
Allegra, janvier 2016, 192 pages, 15,60 €
Ecrivain(s): Philippe Rahmy Edition: La Table RondePhilippe Rahmy est poète et son extraordinaire Mouvement par la fin (Cheyne, 2005) lui a assuré une réputation de poète hors pair par la forme et le thème incisifs de l’ouvrage. La douleur exposée et explorée dans un mouvement qui ne soit pas que littéraire, corps et âme.
Il est aussi un romancier, avec lequel on devra compter car ce livre Allegra est de premier ordre, par sa richesse, par son écriture, et par l’ampleur des résonances qu’il donne à lire.
L’histoire, contemporaine, est d’une actualité brûlante. Londres, les Jeux olympiques de 2012, l’arrivée des réfugiés en grand nombre, celle d’Abel, venu en Angleterre pour y travailler comme trader.
Le narrateur Abel rend compte d’emblée de ses origines algériennes, de ses parents, bouchers dans le sud de la France, de ses déménagements, de son installation dans un Londres agité, de sa rencontre avec Lizzie, de leur enfant, Allegra, de leur appartement proche d’un zoo. Tout pourrait sourire à ce trio mais tout se déglingue assez vite. Les disputes du couple, la séparation et l’errance d’Abel, qui trouve une sorte de Caïn moderne pour le dévoyer, ce personnage de Firouz qui va l’entraîner malgré lui dans une spirale de dépersonnalisation et de violence. Abel boit, fréquente les Alcooliques Anonymes, s’installe dans un hôtel pour réfugiés (Salaam Hotel) et s’engage bientôt dans un projet fou, kamikaze…
Dans une écriture qui suit le personnage au plus près de ses relations, de ses errances, l’auteur décrit une grande ville avec une netteté de vignettes réalistes, à coup de petites phrases ciselées, qui vont à l’essentiel, qui sont denses et visuelles tout à la fois. Rien ne déborde d’un récit serré, dont le suspense plus psychologique que tapageur éclaire bien les enjeux existentiels du personnage principal, écho de l’environnement, tissu de la misère et du délaissement rencontrés.
Les thèmes féconds du livre ajoutent à cet intérêt premier : on y parle de l’immigration, de la situation des réfugiés, des mille et un soucis de parents, de citoyens soumis à une crise d’identité, à une récession économique…
Le titre renvoie aussi bien à l’allégresse de jeunes parents fiers qu’au code suisse que se lancent des promeneurs en montagne. Oui, il y va du sort d’un enfant, d’un enjeu familial, d’une idée de survie dans un monde de brutes.
La beauté du livre laissera de belles traces, comme celles d’un quartier de Londres, Marylebone, où se déroule une grande partie de l’histoire. Là on sent l’humanité vivre et s’interroger sur son destin. Là on entend la voix d’un poète, sismographe étonnant des parcours risqués d’aujourd’hui.
Un auteur à suivre, bien sûr.
Philippe Leuckx
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