Albert le magnifique, Brigitte Benkemoun
Albert le magnifique, septembre 2016, 300 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Brigitte Benkemoun Edition: Stock
Dans ce récit, Brigitte Benkemoun retrouve la trace de son arrière-grand-oncle Albert sur les stèles du mémorial de la Shoah. Elle est intriguée par le changement de patronyme : Albert est mentionné sous le nom d’Achache-Roux. Pourquoi ?
L’explication sera distillée au lecteur, chapitre après chapitre, chacun d’eux éclairant les différents épisodes de la vie d’Albert le Magnifique. Tout commence dans la famille Achache, née à Tlemcen, dans l’Ouest algérien. Cette ville est alors « la perle du Maghreb, la Grenade africaine », vieille cité hispano-mauresque capitale du Maghreb oriental et se posant en rivale de Fès, la Marocaine. Le père Younah est commerçant, Saada, l’épouse, veille à l’éducation de ses quatre enfants, trois garçons Ghali, Léon, Daniel, Albert… et une fille Sarah. L’Algérie de cette époque est ambivalente ; elle est marquée par des campagnes antisémites régulières, orchestrées par certains colons, elle vient aussi, par le décret Crémieux, d’accorder la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, considérés encore comme des « Indigènes ».
Ce qui va expliquer, pour une part non négligeable, la vie d’Albert. Il est en effet difficile pour un jeune homme qui ressent très jeune des doutes forts sur son identité sexuelle, d’assumer ses préférences au grand jour, l’état des mœurs d’alors et le degré de tolérance ne le permettant pas. En poursuivant son investigation, Brigitte Benkemoun découvre un PV d’arrestation d’Albert, arrêté pour exhibition sexuelle dans les vespasiennes : « mais perpétuer l’omerta, n’est-ce pas entretenir la honte ? Albert a probablement quitté l’Algérie pour essayer de vivre sa différence dans les limites que lui autorisait l’époque ».
Et c’est bien là le nœud de sa vie : elle évolue favorablement grâce à des rencontres, des amitiés et amours liés avec Etienne Fleury, un diamantaire de Monte-Carlo, qui l’initie aux mécanismes du commerce des diamants, l’envoie négocier à Anvers, pour son compte. Albert est lié, très intimement, à Justin Roux, un homme beaucoup plus âgé que lui qui l’adopte officiellement comme fils, Albert ayant perdu son père très jeune.
L’époque devient dramatique dès les années trente, cruelle et apocalyptique dans les années quarante. Albert est arrêté par la Gestapo le 8 novembre 1943. Il meurt dès son arrivée à Auschwitz quelques semaines plus tard. Le sort d’une vie, nous suggère Brigitte Benkemoun, dépend de l’époque durant laquelle se déroule cette vie : « Il aurait fallu attendre, Albert. Attendre d’être juif plutôt que de “race juive”, gay au lieu de “pédéraste”. Tu aurais pu te pacser avec Etienne, te marier avec “Monsieur Roux”. J’ai eu sincèrement peur que la morale de ton histoire n’aboutisse à la condamnation de l’assimilation (…) Tu aurais eu tort d’aimer les hommes… Tort évidemment de croire en la France plus qu’en Dieu ».
Belle conclusion d’un récit qui nous tient en haleine et nous fait découvrir aussi certains aspects de la vie des années folles sur la Riviera. Brigitte Benkemoun éprouve de l’empathie et de la tendresse pour cet oncle. Elle réussit brillamment à communiquer ce ressenti au lecteur.
Stéphane Bret
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