Albert Camus et la guerre d’Algérie, Histoire d’un malentendu, Alain Vircondelet (par Stéphane Bret)
Albert Camus et la guerre d’Algérie, Histoire d’un malentendu, Alain Vircondelet, Editions du Rocher, février 2022, 297 pages, 19,90 €
Les lecteurs français, du moins ceux qui s’intéressent à l’histoire de la guerre d’Algérie, à ses causes lointaines, seront bien inspirés de lire l’ouvrage d’Alain Vircondelet, Albert Camus et la guerre d’Algérie, Histoire d’un malentendu. Cette dernière indication complémentaire est capitale car le rapport qu’a vécu Camus avec le conflit algérien est empreint de ce malentendu. Pourtant, la publication de nombreux articles dans Alger Républicain entre novembre 1938 et novembre 1939, sous la direction de Pascal Pia, range Camus dans le camp des dénonciateurs du colonialisme, et ils ne sont pas légion à cette époque à aborder le thème de la misère de la Kabylie, titre de l’une de ses chroniques, ou le thème de la clochardisation des populations arabes, constat qui sera fait plus tard par des appelés français en Algérie, en plein bled, dans « l’intérieur », selon l’expression employée pour désigner l’au-delà du littoral algérien.
Alain Vircondelet prend une précaution décisive, il admet très clairement que Camus a été porteur ou victime d’une mythologie de l’Algérie : « C’était toujours ainsi sur cette terre, où, il y a cinquante, soixante-dix ans, des hommes et des femmes étaient venus, avaient labouré, creusé des sillons de plus en profonds ou au contraire de plus en plus tremblés, jusqu’à ce qu’une terre légère les recouvre et ils avaient procréé puis disparu (…) et les fils de ceux-ci s’étaient retrouvés sur cette terre, sans passé et sans morale ».
L’attachement charnel et affectif de Camus a-t-il pu l’empêcher de manifester davantage de clairvoyance dans le conflit algérien ? Alain Vircondelet l’admet en citant Camus lui-même : « J’ai ainsi avec l’Algérie une longue liaison qui sans doute n’en finira jamais, et qui m’empêche d’être tout à fait clairvoyant à son égard ».
Alain Vircondelet souligne à de nombreuses reprises le déchirement de Camus lors des différentes étapes du conflit. Il est révulsé par les attentats à la bombe, les exactions commises par le FLN contre les populations civiles, notamment lors des massacres de Philippeville et de Melouza. Il ne se range pas non plus du côté des ultras, de ceux qui prônent une répression encore plus intense, plus aveugle, plus cruelle. Non, il pense, et d’aucuns y voient alors une grande naïveté, ou au mieux de l’opportunisme et de la lâcheté, que la seule voie est de sauver des vies innocentes, européennes comme arabes : il soutient ainsi la démarche de Germaine Tillion conduite pendant la bataille d’Alger pour obtenir une trêve entre les parties en présence. La fameuse phrase sur la mère préférée à la justice prononcée lors de la remise de son prix Nobel en 1957 est resituée dans son contexte et son énoncé intégral :
« Je me suis tu depuis un an et huit mois, ce qui ne signifia pas que j’ai cessé d’agir. J’ai été et je suis partisan d’une Algérie juste, où les deux populations doivent vivre en paix et dans l’égalité. J’ai dit et répété qu’il fallait faire justice au peuple algérien et lui accorder un régime pleinement démocratique jusqu’à ce que la haine de part et d’autre soit devenue telle qu’il n’appartient plus à un intellectuel d’intervenir, ses déclarations risquant d’aggraver la terreur ».
Alain Vircondelet souligne l’importance prise dans la vie de Camus par son épouse, Francine, ses amis Jean Grenier, René Char, ses maîtres parmi lesquelles Catherine Sellers et bien sûr la grande Maria Casarès, actrice hautement célèbre à l’époque.
À recommander, pour clarifier les débats actuels sur le passé colonial de la France.
Stéphane Bret
Alain Vircondelet a consacré de nombreux travaux à Albert Camus, parmi lesquels Albert Camus, fils d’Alger, Fayard 2010.
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