Alaska, Melinda Moustakis
Alaska (Bear Down Bear North), octobre 2014, traduit de l’américain par Laura Derajinski, 216 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Melinda Moustakis Edition: Gallmeister
L’Alaska est pour nous une terre bien lointaine, un pays méconnu, surtout habité par la neige et quelques ours. Nous imaginons aussi qu’il y traîne quelques prospecteurs. Le pays que nous fait découvrir Melinda Moustakis avec ce recueil de nouvelles est bien un pays où les choses peuvent devenir des expériences limites, extrêmes. Entre les jours et les nuits interminables, le froid et les rivières puissantes comme les saumons qui les peuplent, les forêts immenses où vivent et meurent les élans et où se perdent les chiens, les humains doivent batailler pour vivre, survivre et tout simplement trouver leur place.
L’Alaska dans laquelle l’auteur nous entraîne n’est pas vraiment celle que l’on propose aux touristes, pas plus que celle de ceux qui viennent y travailler pour en repartir dès que possible. Hors de la grande ville, Anchorage, nous côtoyons ceux qui toujours ont vécu là, qui toujours continueront d’y vivre. Ici, la vie se réduit souvent à l’essentiel et on n’y a rarement le temps d’y faire de la littérature, même si entre cuites et bagarres, entre pêche et poisse, il y a aussi place aux récits que l’on ressasse au fur et à mesure que s’égrènent les vies.
Les récits comme les bouteilles se partagent et la voix des conteurs est un peu celle de tous et de chacun. On retrouve dans ce grand nord une violence, ou plutôt une « crudeur » (paradoxal mariage de crudité et de pudeur) qui n’est pas sans rappeler parfois celle du sud faulknérien. La langue y travaille dans une âpreté qui ne cherche ni à éviter les ellipses, ni à satisfaire à la logique du littérairement correct. Le narrateur tutoie ces personnages, en devient parfois un elle-même, ou lui-même, mais peu importe que la logique narrative, celle du récit classique, nous échappe ou explose, ce qui compte ce sont les paroles qui circulent, les actes accomplis, les silences, les mensonges, profondément humains. Parfois brutalement et discrètement héroïques, le plus souvent ordinaires et sans illusion.
Sans doute faut-il être un peu fou pour parvenir à vivre dans ce monde. Et sans doute y être aussi viscéralement attaché. Il y a chez certains des personnages quelque chose de la rudesse et du côté bourru que l’on pourrait attribuer aux ours, ceux qui sont dans le titre original du recueil. La folie de la pêche et l’habitude de survivre à tout peuvent dispenser de bien des choses. Les générations semblent se suivre et répéter les mêmes gestes, les mêmes mots, sauf que certains, petit à petit, s’éloignent de ce monde, sans vraiment parvenir à le quitter. Un peu à l’image de l’auteure elle-même, qui vit aujourd’hui dans un monde moins radical, moins extrême, mais qui revient sur ces lieux qui ne peuvent laisser indifférent ni s’oublier, comme les personnages de ces nouvelles.
Une écriture qui fait déborder largement la littérature de pêcheurs dont l’Amérique est friande et qui fait parfois perdre ses repères au lecteur, à l’image d’un pays où les humains semblent souvent n’être que des intrus. Au travers de ces pages on entend comme des grognements dont on ne sait pas toujours s’ils sont des menaces, du jeu, de la souffrance, de la joie, de la fatigue, de la rage ou tout cela mêlé.
L’éditeur met en avant le fait que Melinda Moustakis a été désignée comme l’un des cinq auteurs de moins de trente-cinq ans les plus prometteurs de la littérature américaine. Gallmeister, grand pêcheur de livres ne pouvait rater cette prise. Ce premier recueil est en effet très prometteur et l’on attend avec une réelle curiosité les prochaines nouvelles, prêts à grogner de plaisir ou de déception.
Un dernier mot pour dire que l’on peut à nouveau regretter la traduction infidèle du titre, qui donne un peu des allures de guide touristique à un livre qui est tout sauf cela.
Marc Ossorguine
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