Ainsi parlait Montaigne, Gérard Pfister (par Didier Ayres)
Ainsi parlait Montaigne, Gérard Pfister, éditions Arfuyen, janvier 2022, 192 pages, 14 €
Humanisme
Retrouver la force vive de l’humanisme de la Renaissance, ici, avec des dits et des maximes de Montaigne, est un plaisir sans partage. C’est voir l’homme du Cinquecento et entendre une voix, un esprit qui a connu la totalité de la littérature de son époque. On n’y trouve nulle pédanterie de savant, mais plutôt des règles morales et une recherche de la vérité. Là, nous sommes au début d’une ère nouvelle. Mais cet homme de la Renaissance qui a irrigué comme honnête homme l’histoire de la pensée, aboutit en ce début de troisième millénaire à un autre homme, celui d’une humanité fragmentée, plongeant les êtres humains dans leur narcissisme, où l’individualité de citoyen se transforme en idée de niches seulement ouverte aux besoins d’un consommateur ciblé, oubliant l’honneur, la dignité de la pensée, la morale des actions. D’une autre manière, Montaigne est lui aussi à un seuil.
Néanmoins, le philosophe bordelais n’est pas fermé sur son temps et délivre moult visions éthiques, qui viennent de l’antiquité, monde des idées façonnées par la grande sagesse gréco-latine dont nous dépendons tous – y compris l’homme du troisième millénaire. Montaigne cherche avant tout un équilibre, un point en suspens dans sa pensée, une lutte en lui, sans doute entre différentes probités intellectuelles. Il aboutit comme tout le monde le sait à épouser une forme articulée de scepticisme.
Nous n’allons pas : on nous emporte. Comme les choses qui flottent, tantôt doucement, tantôt avec violence, selon que l’eau est furieuse ou calme.
Outre cette nécessité du doute, le chemin est ouvert aux idées universelles. Montaigne fait l’apologie de l’amitié, de la conversation, de l’échange des aperçus de la pensée, d’un humanisme naissant et qui fait la part belle aux sentiments nobles. Tout dans son œuvre est travail d’introspection et d’observation du soi. Jamais il ne lâche sa vision ni l’étude de ce qui l’entoure et de ce qui est entouré, la forme et le dedans. Ce qui pourrait aboutir à une sorte de taoïsme en la croyance d’un juste milieu, d’une voie du milieu, si l’on pousse un peu le trait.
Le premier trait de la corruption des mœurs, c’est le bannissement de la vérité. Car, comme disait Pindare, être véridique, c’est le commencement d’une grande vertu.
Mettre à nu, dévoiler, chercher l’intelligence intuitive, intelligence susceptible de nous conduire au milieu des grands secrets, des grands archétypes et des grandes questions de notre épistémè de la vertu, est la tâche de l’écrivain, sa principale occupation. Et Montaigne rend facile cette composition du noir et du blanc de notre existence intellective. Sa relation au doute paraît justifiée. Car il cherche un être fondamental, une conception du fondement, dont l’incertitude est pour lui l’essence.
Les Essais sont d’abord un exercice de lucidité. Ils mettent en mouvement l’esprit. Et pour notre nouveau siècle fait de fragmentations du temps, de l’espace, du cœur de l’individu, celui-ci étant sollicité surtout comme consommateur et comme nourriture pour les opérations du big data, cette parole philosophique débouche sur d’autres mondes, nous approche de la certaine quiétude de l’indécision, de l’hésitation, du flottement propre à dilater des poches de signification, un souffle, un plaisir au moins littéraire. Et peut-être cette lecture pourrait être performative ou au moins faisant toujours impact.
Didier Ayres
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