Ainsi parlait, Jean de Ruysbroeck (par Didier Ayres)
Ainsi parlait, Jean de Ruysbroeck, trad. et préf. Marie et jean Moncelon, éd. Arfuyen, 2022, 14€
Une approche de Dieu
Ainsi parlait Jean de Ruysbroeck laisse entrevoir une relation à Dieu fondée sur une expérience mystique, en tout cas telle que j’ai pu la percevoir. Approche de Dieu contemplative, intérieure et mystérieuse. Tout confine ici à la rencontre de Dieu par le croyant qui a besoin de « toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Matt. IV, 4). Cela dit, il faut donner quelques éléments saillants qui justifient ici cette quête, car le chemin pour le chapelain de Sainte-Gudule est balisé. Son langage dessine les reliefs d’un paysage escarpé et montagneux, c’est-à-dire des flans abrupts, des chemins complexes, des pierres dures et surtout des découvertes spirituelles. Il y a un nombre important de termes de cette métaphore de l’élévation de l’âme : hauteurs, accroissement, croissance, fructification, agrandissement, toutes ces images concourant à dresser le portrait d’un Dieu intérieur. Si ces images de l’élévation découlent de l’imaginaire religieux du prêtre d’une simple paroisse de Bruxelles, il se trouve aussi des allusions récurrentes au feu, à l’ignition, au soleil, à la combustion des consciences, à l’embrasement de l’Esprit.
Le feu de l’Esprit Saint brûle et consume tout ce qui, en nous, ne ressemble pas à Dieu et il nous garde constamment dans la connaissance et l’amour. Il nous donne la consolation et un avant-goût de la gloire de Dieu et il est le gage de la béatitude éternelle.
Il faut encore dire quelques mots sur le style de ce religieux. Transparence de l’ascension spirituelle, modernité frappante, et description d’un chemin vers Dieu difficile et exigeant.
Et bien souvent le style dépend d’un discours trin. Là où se loge la trinité mystique. Il y a aussi quelques fragments qui reflètent une déchirure tétralogique, que l’on connaît très bien de L’Apocalypse. Donc, cette recherche n’est pas désordonnée mais elle est architecturée sur une vision intérieure qui sert à la fois d’armature et de conséquences. Quoi qu’il en soit, cette littérature s’approche de la poésie, formule anagogique qui débouche sur un mystère, celui de la langue, du Verbe. Je rapprocherais la qualité du style à celui de Claudel qui, dans L’œil écoute, en vient à spiritualiser les pierres, à donner sens aux pierres précieuses ou semi-précieuses.
De toute cette œuvre, ici accessible par le truchement de fragments, il reste la clarté, voire parfois un lien direct à la divinité, et des éclairs de croyance, de la foudre du ciel – d’où tombe Satan dans l’Évangile de Luc. Éblouissement du soleil, point de vue en contreplongée, tout semble venir de l’évidence, sans pour cela décroître dans la facilité, car le chemin vers Dieu est difficile. Effets de miroir aussi, psyché, glace sans tain, le reflet est aussi une figure de style qui importe à Jean de Ruysbroeck.
La première catégorie d’hommes, ce sont les hommes vertueux et de bonne volonté, qui ont vaincu le mal et meurent sans cesse au péché.
La deuxième catégorie, ce sont les hommes intérieurs, riches de leur vie et qui pratiquent au plus haut degré toutes les vertus.
La troisième catégorie, ce sont les hommes spirituels, emplis de lumière, qui meurent sans cesse dans l’amour et s’anéantissent dans l’unité avec Dieu.
Reste l’amour, la fusion de l’être avec l’Être, l’enflammement supérieur de la parole, tout au long de la gravitation vers Dieu. J’ai songé en un sens à la mystique persane, illustrée par exemple par La Conférence des oiseaux qui montre les étapes nécessaires pour aborder le grand oiseau spirituel, le Simorgh. Autre siècle, autre culture, autre apprivoisement des conduites sur le pèlerinage spirituel, mais épanouissement certain du sentiment religieux. Ainsi parlait montre avec un style peut-être plus direct que celui de Maître Eckhart, la voie, la fameuse voie qui est symbolisée dans toute la littérature mystique.
Didier Ayres
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