Ainsi parlait, André Suarès (par Didier Ayres)
Ainsi parlait, André Suarès, éd. Arfuyen, septembre 2020, 171 pages, 14 €
André Suarès ou La parole exhaussée
Comment définir ma jubilation à la lecture de ce livre où André Suarès apparaît dans sa complexité autant que dans son intégrité intellectuelle ? Cette forme panoramique – à laquelle nous habitue cette Collection Ainsi parlait, chez Arfuyen – permet de jeter une lumière sur ses intérêts artistiques et humains. De plus, j’y ai retrouvé des idées qui me semblent d’une grande justesse, provoquant mon alacrité intérieure. Car le sujet dominant de l’ouvrage réside dans la proposition suivante : comment augmenter la qualité morale et artistique de la poésie et du poète. Donc, quelle nature doit avoir l’artiste, s’il veut augmenter l’homme, lui faire rencontrer ce qui lui est principal ou principiel, en tous cas lui ouvrir le chemin de la quintessence de l’âme, essence qui ne doit jamais faiblir ?
Suarès montre toujours le haut, peut-être à l’image du Saint Jean-Baptiste de L. de Vinci, lequel indique en somme deux voies : l’une vers le ciel et l’autre, plus prosaïque, vers sa houlette. Cette indication soulignant que la voie mystique n’abolit pas la voie pastorale ; donc, c’est quand même toujours l’exhaussement qui reste désiré et désirable. Avec Suarès, la parole est édifiante, elle désigne la vérité haute de soi, de l’homme et de l’art, du poète et du livre.
Pourrais-je évoquer Novalis ? Je ne sais. Ce qui est certain c’est que le poète consigne dans son espoir poétique, le surcroît de son propre destin en sa vérité métaphysique. Car André Suarès ne cesse de le proclamer, de diriger l’art vers une vérité, sans doute universelle, qui bien sûr ne peut se satisfaire du médiocre ou du bâclé. La littérature est capable de cette force, selon lui. Et la vérité en art est indispensable – et j’ajoute pour moi-même, une qualité de mystère qu’elle touche de sa grâce complexe et impérieuse.
La douleur est la compagne éternelle de tous les hommes ; et tous, dès qu’ils sont nés lui sont promis : qui souffre, vit.
Art, vie, langage, la morale, l’éducation, tour à tour évoqués, ne le sont que pour assigner au poète la mission élevée et souveraine de détenir la beauté, particulièrement avec la langue française que l’auteur met au sommet dans son panthéon. Donc, rien n’est exclu de la philosophie, de la méditation, de l’intellection de l’idée pure, nue, quasiment violente. Sur ce promontoire esthétique, il est possible de dire. Dire le mystère et comment ce mystère opère sur la littérature. L’artiste ne doit avoir de cesse de gravir. Et cette élévation a pour conséquence de toucher aux éléments invisibles, rendus présents par des dieux, force illuminatrice, et éminemment du Dieu chrétien, envisagé comme une cristallisation des temps, sujet à tout l’exhaussement spirituel et devenant une intelligence supérieure.
Le grand poète ne peut se passer de Dieu, ou connu ou cherché, ou désiré de la soif ou bu avec ivresse : quel qu’il soit, ce Dieu, ou de quel nom qu’il le nomme, le poète a besoin d’un créateur et d’un père : il lui faut, étant celui qui crée.
Le grand artiste est un aristocrate. Voilà ce qui le sépare presque toujours du public et de son temps.
Ne nous méprenons pas, ce gravissement moral de l’artiste tout entier n’est pas un baume douceâtre mais une route fébrile, où souffrir est presque nécessaire : travailler sans relâche, créer, user les liens entre la création et son créateur. Souffrir pour créer est une action ouverte, universelle, une vérité partagée de tous, mais qui, pour l’artiste, ressemble à une charge, une forme d’office un peu sacré. Il y a quelque chose d’Une Symphonie Alpestre de Strauss dans ces lignes de Suarès.
Il nous reste donc ici le portrait d’un écrivain humaniste, espérant dans la puissance de l’écriture, poète sensible et raffiné aux prises avec la spiritualité, dont l’œuvre est remarquablement homogène. De plus, cela offre une rigueur et un vrai appui pour considérer le bon du mauvais, le grain de l’ivraie.
Didier Ayres
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