Adieu Tanger, Salma El Moumni (par Stéphane Bret)
Adieu Tanger, Salma El Moumni, Grasset, août 2023, 175 pages, 18 €
Edition: Grasset
Le thème du premier roman de Salma El Moumni est ambitieux : le pouvoir et l’influence du regard des autres sur soi, sur les choix de sa propre vie.
Alia est marocaine, vit à Tanger. Elle fréquente Quentin, un jeune garçon scolarisé comme elle dans le même lycée. Ce qui préoccupe gravement Alia, ce qui l’obsède dès le départ de ce récit, c’est la sensation qu’elle éprouve de se voir scrutée, épiée, déshabillée du regard, méprisée de ses compatriotes. Serait-ce de la paranoïa ? Alia a le sentiment qu’elle dérange, que ses tentatives d’émancipation et d’ajout d’un peu de liberté dans sa vie sont vouées à l’échec.
Alia relève ce défi en postant des photos sur la toile, ce qui est passible de l’article 483 du Code pénal marocain, qui punit l’outrage public à la pudeur d’un mois à deux ans d’emprisonnement. C’est la résolution de ce dilemme qui va occuper Alia dès sa reprise de contact avec Quentin, qui ne l’aide pas vraiment : « Il t’a toisée du regard avec ses yeux bleus liquides en mordant dans sa fajita (…) Tu as immédiatement regretté d’être venue chez lui, tu n’avais soudain plus faim, tu voulais partir ».
Mais ce qui fait l’attrait de ce roman, c’est la volonté de l’autrice de passer en revue toutes les questions liées à l’intégration, aux origines, à la double appartenance culturelle. Sans apporter ou suggérer des réponse simplistes ou définitives, Salma El Moumni décrit avec force et pertinence ces grands thèmes : « Ta vie en France se résume à essayer de ne pas paraître arabe tout en voulant te démarquer. La violence des mots se confond avec la violence des regards (…) Alors, tu regardes tes congénères et tu se sens plus étrangère encore ».
Un autre constat, plus émouvant encore, est celui du poids du regard parental et familial, ou la difficulté de vivre sans essayer d’imiter les autres, les Français « de souche », sans être reconnue comme une membre à part entière de leur pays. Salma El Moumni nous le dit avec gravité et tendresse : « Tu n’étais plus marocaine, tu étais banlieusarde. Toujours l’ambivalence : il ne faut pas paraître trop négligée pour ne pas tomber dans le carcan des musulmanes oppressées, ni trop apprêtée, pour ne pas tomber dans celui des beurettes en quête d’attention ».
Tout est dit, et la conclusion de ce roman découle tout naturellement de cet état des lieux. On pense, à la lecture de ce très bon roman, à la trilogie de l’auteure Leïla Slimani, également marocaine, Au pays des autres, qui aborde avec beaucoup de justesse les questions de l’origine, de la discrimination, de la haine de soi. Ce premier roman a le mérite d’exposer cette question du pouvoir du regard des autres, de son intériorisation dans notre vie psychique.
Stéphane Bret
Née en 1999 au Maroc, Salma El Moumni a grandi à Tanger avant de venir faire ses études en France. Ancienne élève de l’École normale supérieure de Lyon, elle vit aujourd’hui à Paris.
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