Adeno Nuitome, Lola Molina (par Didier Ayres)
Adeno Nuitome, Lola Molina, éditions Théâtrales, mars 2021, 60 pages, 10 €
La scène, la vie
Aborder un texte théâtral par la lecture est une entreprise ambiguë. Car cette lecture dans un fauteuil présente différemment cette expérience de la scène, de celle du théâtre au sens strict. Avec ce texte de Lola Molina, on reste bel et bien dans le spectacle de la vie, existence physique qui se dessine sous nos yeux. La seule nuance dans cette perception, c’est que l’on déduit de manière diffuse la biographie de l’auteure et la pure fiction ; là tout l’intérêt que j’ai porté comme liseur à cette pièce. En effet, cette impression qui se déduit de la biographie, porte à circonscrire la part vivante de cette espèce de prière d’insérer, c’est-à-dire une citation autobiographique qui flotte au sein du texte, un peu au hasard mais qui, ce faisant, saisit la sève des éléments d’une espèce de confession. Mais ici, pas de recherche de clés, ni de voyeurisme.
De plus, cette pièce tend vers le récit, le micro-récit, sorte de nouvelles denses et fragmentaires. Je crois que l’on est plus proche des pièces en un acte de Tchekhov que des dramaticules de Beckett.
L’éditeur vient me voir. On se retrouve dans un café en ville. Avant de partir j’observe la pluie. J’ai des chaussures neuves et je ne veux pas les abîmer s’il pleut. Mais je veux quand même les mettre. La pluie s’arrête. Je n’ai pas de monnaie et je n’ai pas le temps de faire un détour par le distributeur. Je ne veux pas être en retard. J’entre dans le café et je commande à boire sans avoir d’argent en poche.
Il faudrait encore inventer un terme pouvant se substituer à l’autofiction. Pour moi, on se trouve dans une sorte d’autothéâtre, où les personnages puiseraient dans des autopersonnages au milieu d’une autoscène. Donc un théâtre du moi. On rentre dans la représentation grâce à des éléments factuels. Par une contextualisation suffisamment souple, meuble, pour accueillir la vie de l’autrice et son imagination. On voit ainsi une sociologie du milieu théâtral, la vie de certaines compagnies.
Scène vitale. Écriture mosaïque où le réel se conçoit grâce à de la pure réalité – celle de l’auteure – confiné à de la pure fiction, donc tenant les deux endroits de la scène : des acteurs et leur texte. Rappelons cette antienne :
All the world’s a stage,
And all the men and women merely players ;
They have their exits and their entrances,
And one man in his time plays many parts…
L’éditeur n’appelle pas. C’est le jour où ils annoncent les prix.
Rien depuis ce matin. Pas un mail ou appel ou tweet. Les écrivains sont tous en apnée.
Didier Ayres
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