Absolutely Golden, D. Foy (par Fawaz Hussain)
Absolutely Golden, août 2018, trad. anglais (USA) Sébastien Doubinsky, 215 pages, 20 €
Ecrivain(s): D. Foy Edition: Le Serpent à plumes
Rachel, une enfant de soleil
Rachel Hill est une Américaine originaire d’Oakland, ville de la côte ouest des États-Unis située dans la baie de San Francisco, dans l’Etat de Californie. Veuve de son « pauvre Clarence », elle se sent terriblement seule et vieille à l’âge de 37 ans. Elle recourt alors aux services d’une vieille gitane qui lui concocte un philtre d’amour à base de vers de terre, de pervenches, de cantharide, de sang menstruel et de poireaux, et ça marche ! Le miracle se produit car trois jours à peine, un dénommé Jack Gammler, un hippie, franchit le seuil de sa porte et s’incruste. Il faut dire que ce Jack n’est pas un homme lambda, un hippie quelconque. La nature l’a doté du « plus grand pénis », « peut-être le plus grand que le monde entier ait jamais vu, plus de trente centimètres dans son état naturel, comme on dit ». A propos de cet « incroyable appendice », Jack le fera tourner au camp de Freedom Lake avec une telle force giratoire qu’on le prendra pour une hélice.
On est en 1973 et la guerre au Vietnam fait rage. Faisant partie du mouvement Peace and Love, Jack rebat les oreilles de l’institutrice coincée, en lui demandant de le suivre dans le camp nudiste de Freedom Lake. Rachel accepte au bout d’un an de se lancer dans ce vide vertigineux sans pourtant être ensorcelée par le gourou. Elle le suit car elle cherche une échappatoire quelconque à la médiocrité de son quotidien. « La plus grande partie de ma vie s’était déroulée dans la nuit. Je n’avais jamais eu plus de couleurs que le ventre d’une grenouille ». A 38 ans, elle appréhende donc le moment où elle sera toute nue pour la première fois au bord d’une piscine devant trois cent quarante-deux personnes, « un océan de visages ».
Avant même de se trouver au camp nudiste, elle fait la connaissance de la sulfureuse Jennifer que Jack lui présente comme étant sa cousine. Sans en croire un mot, Rachel est plutôt intriguée par cette jeune fille qui est tout le contraire d’elle. Jenny est ecdysiaste, une effeuilleuse, bref une stripteaseuse haut de gamme, une sirène pratiquant la danse érotique. Rachel voit en elle « une emmerdeuse intolérable, stéréotypiquement belle et écervelée, stupidement charnelle, manipulatrice même ». Elle ne jure que « sur la tombe de “son” petit chat », son portrait nous sera livré tout au long de la narration par des touches successives. Devrait-on mettre tout cela sur le dos de la jalousie de la part de Rachel quoique ce sentiment n’ait pas sa place dans un monde supposé uniquement régi par la Paix et l’Amour ?
Une fois à Camp Freedom Lake, Rachel découvre tout un monde : Merle Frizzel, le gentil Black qui se liera d’une grande amitié avec elle et se révélera, dès la première nuit passée au camp, son « seul véritable soutien ». Il y a Wolfang qui parle l’anglais comme une vache hollandaise, et son compatriote Usch. Ces deux échangistes bataves inondent copieusement le groupe de phénobarbital et d’amphétamines. Il y a bien sûr le frère libidineux Jomar Links qui se définit comme « Combattant pour la liberté, apôtre, naturiste réincarné », et veut qu’on l’appelle juste Jomar. Tous ces gens, à part Merle, vont être abrutis tout au long de leur séjour à Freedom Lake « au plus profond du labyrinthe, royaume non de Bacchus, mais de son fils débile », ainsi que le dépeint la chroniqueuse. Grâce à ce petit monde défoncé, Rachel apprend que son défunt mari fréquentait des lieux échangistes. Clarence était en réalité ce que « beaucoup appelleraient un escroc ». C’est dire à quel point on peut vivre sept ans avec une personne sans vraiment la cerner !
Mais la chose la plus surprenante, c’est que Rachel se rend compte qu’elle a une grande capacité à se faire aimer des autres, ce que ni son mariage ni ses années d’institutrice ne lui avaient laissé penser. Elle devient du jour au lendemain une célébrité, une curiosité. Quand elle demande à Merle ce que les autres lui trouvent, il lui répond : « Ils aiment tes cheveux ». Rachel fascine en fait par le talent qu’elle a pour s’occuper des autres sans rien demander en retour. La nudité physique libérant son caractère, elle peut désormais irradier le charisme, la confiance, l’aplomb. Par sa transformation, enfin son assomption au Royaume des Blondes, elle n’est plus la maîtresse d’école vieillissante toujours sur ses gardes et impossible à aimer dont personne ne voulait. Elle rayonne à la fois par sa peau lumineuse et par son âme et réussit même à gagner la sympathie, sincère, de l’Ecdysiaste. Grâce à elle, Jack renaît après s’être défait de ses longs cheveux d’hippie, et découvre même la raison pour laquelle sa mère l’appelait son « Valet de cœur ». Cette expérience s’avère initiatique pour Rachel et Jack. Les deux protagonistes sont complètement métamorphosés et on les déclare comme la reine et le roi de Camp Freedom Lake de 1973.
Absolutely Golden restitue l’Amérique des seventies. Les dialogues y sont alertes et sans fioritures. Le style utilise toutes les ressources de la langue, de l’argot le plus cru au raffinement le plus recherché, ce que rend avec brio la traduction talentueuse de Sébastien Doubinsky.
Fawaz Hussain
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