Absences, Alice LaPlante
Absences, traduit de l’anglais (USA) par Daphné Bernard, mars 2013, 414 pages, 21 €
Ecrivain(s): Alice LaPlante Edition: Robert Laffont
Sheffield Avenue, dans Chicago, est une rue bordée d’arbres, où de coquettes maisons de briques rouges, agrémentées d’oriels, invitent à une vie paisible et confortable, loin des gratte-ciels et de l’agitation du centre-ville. Un quartier plein de charme qui semble à l’abri de toute forme de criminalité. Pourtant, le 22 février 2009, le corps d’une femme de soixante-quinze ans est retrouvé par une voisine, dans l’une de ces charmantes demeures. Il s’agit d’Amanda O’Toole, ex-professeur et femme autoritaire qui a succombé à un traumatisme crânien et dont quatre doigts de la main droite ont été sectionnés avec une précision toute chirurgicale.
La dernière personne à l’avoir vue vivante, quelques jours auparavant, est sa meilleure amie, Jennifer White, veuve d’un brillant avocat, elle-même chirurgien orthopédiste réputé et à la retraite, spécialiste de la chirurgie de la main. Une altercation avait opposé les deux femmes une semaine avant la découverte du cadavre. Les soupçons de la police se portent naturellement sur Jennifer White, mais l’enquête s’annonce difficile, car cette femme, au tempérament bien trempé, souffre de la maladie d’Alzheimer.
Si ce meurtre marque le début d’un suspense, la force et l’originalité d’Absences résident dans la narration hallucinante que l’auteur nous livre de la démence sénile.
En choisissant de faire de Jennifer la narratrice du récit, Alice LaPlante plonge le lecteur au cœur des errances d’un cerveau qui dysfonctionne et efface les souvenirs récents. Un Alzheimer vu de l’intérieur, illustré par les pensées, les paroles, les sentiments, les réactions de Jennifer. Un incroyable défi d’écriture, relevé avec brio.
Tout au long du roman, il y a les jours « sans » et les jours « avec », ceux où la conscience fonctionne et où l’héroïne reste en prise directe avec la réalité, et ceux, toujours plus nombreux, où l’incohérence s’installe, où la confusion règne, où les défunts réapparaissent sous les traits des vivants et où toute forme de communication devient impossible.
« Une fois encore qui êtes-vous ?
Mark. Ton fils. Ton fils préféré.
Mon préféré ?
C’était juste pour rire. Je n’ai guère de concurrence pour cette distinction.
Vous me rappelez quelqu’un que je connais.
Heureux de l’apprendre ».
Un carnet lui permet de garder un lien écrit avec ceux qui la suivent dans sa longue et douloureuse déchéance. Un carnet, où les jours « avec », elle note avec soin tout ce qui lui arrive, ainsi que certains souvenirs. Un outil de communication, pour sa fille Fiona qui gère sa fortune, pour son fils Mark en charge de son suivi médical, et Magdalena, sa garde-malade, qui y notent, les jours « sans », le compte-rendu d’une journée ou d’une visite. On y découvre les personnalités de chacun et leurs réactions contrastées par rapport à la maladie qui distend les liens familiaux, amicaux, et ravive ou amplifie aussi certains sentiments.
Alors que l’enquête continue sous la direction d’une inspectrice têtue, la situation matérielle de Jennifer se dégrade. Obligée de quitter sa demeure afin d’intégrer une résidence pour personnes dépendantes, seules quelques lointaines réminiscences émergent encore de sa mémoire. Sa fuite de l’établissement et son errance dans Chicago sont narrées à la deuxième personne, le « tu » remplaçant le « je » pour marquer la distanciation qui s’opère en elle. Enfin, la dernière partie du roman s’inscrit dans un « elle » qui marque une perte d’identité irrémédiable.
Sur un sujet difficile, où le suspense est plus un prétexte qu’une fin en soi, Alice LaPlante évite tous les écueils mélodramatiques. En dépit d’un tempérament dur et plutôt froid, le personnage de Jennifer devient rapidement très attachant, profond et généreux. On se prend à espérer pour elle, l’inimaginable : une guérison ou du moins, de plus longs moments de rémission.
Quiconque ayant côtoyé une personne atteinte d’Alzheimer retrouvera dans de multiples détails, parfois cocasses car le roman est loin d’être dépourvu d’humour, les symptômes et les effets, y compris ceux collatéraux, de cette maladie. Un livre émouvant, souvent poignant, très bien construit, que l’on garde en mémoire, mais jusqu’à quand ?
Catherine Dutigny/Elsa
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