À propos du roman Plages non loin de Nantes, Germont, par Yasmina Mahdi
Cruelle beauté
Tout d’abord, voici un bref résumé de ce roman-récit, Plages non loin de Nantes, de Germont, auteur discret. Un portrait idéal : une vision, un miroir ; le début d’un conte. Un monde désillusionné : à la recherche de cruelle beauté (…) où je me reconnais, en vrai fils d’une époque anxieuse et désorientée (…) [dans] la désillusion des jeunes gens d’alors… Un contexte sociohistorique : nous avions été contraints de nous réfugier dans la réalité souterraine de notre vie individuelle. La société officielle n’étant plus qu’un marais pourrissant (…) la détérioration des valeurs qui la rongeait continuait son œuvre souterraine et bientôt triomphante. L’homosexualité. Une des facettes de l’homosexualité, l’éraste et l’éromène, le Giton du Satyricon de Pétrone. Ces amours étranges entre deux jeunes hommes également prompts à se craindre et à se mépriser nous renvoient à l’universel d’un égoïsme sacré auquel personne n’échappe. Le statut de victime : la victime a d’avance consenti au sacrifice, et son tourmenteur est peut-être au fond plus abandonné et désespéré encore que celui qu’il semble martyriser. L’évocation de Ganymède, entre enlèvement, extase et maltraitance : Ganymède, le plus beau des mortels, élevé par amour jusqu’aux cieux afin à jamais de verser au banquet des dieux l’ivresse de leur éternité. Le temps de la déréliction (…) d’une instabilité matérielle et affective permanente.
Il y a dans Plages non loin de Nantes le mythe de la jeunesse intacte, des considérations économiques, du calcul entre les êtres, où liberté rime parfois avec matérialisme. Il y a aussi le récit d’une rencontre, avec sa singularité, ainsi qu’une certaine tentative de justification de la part de l’auteur. Les quelques personnages sont enserrés dans une cage invisible, torturés par leurs désirs et leurs manques. Le tout traité en une espèce de déchiffrement d’une existence à la recherche d’une beauté incompréhensible, où deux êtres de même sexe s’affrontent, se possèdent et se brutalisent, dans un style presque gréco-latin, assez adjectivé. L’on peut se questionner à propos de l’accomplissement du destin personnel au milieu du prisme de ce marché et son contrat implicite, et de la place de l’amour réciproque (et égalitaire). A lieu également une théâtralisation de la relation homosexuelle, un peu surjouée. Nous sommes néanmoins loin de la crudité de Tony Duvert (1945/2008), apologiste de la sexualité enfantine, de la quête suicidaire de Guillaume Dustan (1965/2005), prônant l’auto(bio)pornographie, et sans doute plus proche du requiem solaire de Pierre Herbart (1903/1974). Il faut souligner l’élégance de la langue, qui de nos jours est plutôt malmenée – pauvreté de style, pauvreté des idées et peut-être aussi manque de travail, indigence souvent due à un défaut de connaissances et à un égotisme stérile. Ainsi relevons chez Germont de belles et rares expressions, des éclats soudains poétiques avec ces sommeils d’ours repus, gorgés du miel des plaisirs (…) ; le rempart des immeubles aussi blancs et ensoleillés que des falaises.
Au sujet de l’homosexualité, voici un passage du roman de James Baldwin en rapport apparent avec celui de Germont : Il souriait encore, mais il y avait dans ses yeux une expression qu’Éric connaissait maintenant. C’était le regard de l’aventurier endurci et expérimenté qui se demande s’il doit fondre sur sa proie ou bien l’attirer dans un piège. (…) et c’était aussi par conséquent le regard de quelqu’un qui s’avançait irrésistiblement vers tout ce qu’il désirait ; et qu’il obtenait à coup sûr. Cette expression effrayait toujours un peu Éric. Elle semblait ne pas avoir sa place dans ce visage de vingt et un ans, n’avoir aucun rapport avec ce sourire ouvert et puéril, cet enjouement poupin, l’ardeur juvénile avec laquelle Yves adaptait, puis rejetait les théories, les doctrines et les gens. (Un autre pays, Gallimard, 1964). Mettons en vis-à-vis l’extrait de Plages non loin de Nantes : Son visage où le soleil avait posé comme un masque de bronze, s’accordant implacablement avec l’or de ses cheveux et l’azur serein de ses yeux, semblait plus que jamais la face mystérieuse et impassible d’une statue. Etrangement, cette froide perfection exacerbait la furie possessive des désirs de Jérôme, lequel s’exaltait de son pouvoir de tirer de ces lèvres inhumaines des gémissements de souffrance et de plaisir. Nous sommes éloignés des années 60 aux Etats-Unis, des combats pour les droits civiques des africains-américains, des homosexuels et des minorités ethniques, ainsi que des grandes luttes féministes. Au contraire, chez Germont, l’époque semble obturée, sans futur, produisant des êtres désorientés, ne trouvant qu’un bonheur – plutôt un exutoire – dans le monde de la nuit, ces palais nocturnes (…) dans une serre souterraine et surchauffée (…) cet Hadès parisien. De longues pages éloquentes sur les boîtes de nuit parisiennes à la mode restent un certain emblème des années 80, le reflet d’une certaine jeunesse branchée.
L’intrigue se resserre dans un huis clos sous l’analyse d’un narrateur-scrutateur campé en photographe dans un monde coloré, riche d’images, un peu similaire à celui du film de James Bidgood, Pink Narcissus de 1971, où un jeune homme endosse les parures et les rêves des dieux mythologiques. Ce faisant, le clivage corps contre esprit issu de la domination masculine persiste encore dans les schémas comportementaux entre couples de même sexe, voire le fort/le faible, le beau/le laid, le riche/le pauvre, le jeune/le vieux, le lettré/l’ignorant, etc. Un savoir érudit cohabite avec les déambulations homoérotiques des protagonistes. L’archéologie et l’histoire de l’art imprègnent ce récit et le déréalisent, le situant au-delà d’une simple aventure sentimentale. Ce qui nous plonge dans les rites antiques, mystères d’Eleusis. Le héros se trouve happé par des puissances apolliniennes magnétiques. Cette exploration savante a trouvé chez P. Paolo Pasolini un contemplatif absolu, dans la beauté éclatante des peaux olivâtres et noires, des chevelures brunes des éphèbes dionysiaques, caravagesques. Plutôt à la manière d’un augure que d’un détective, Germont mène une sorte d’enquête sur des couples d’hommes, en proie tantôt à de l’exaltation, tantôt à de l’angoisse, passant par toute une gamme de passions thymiques. Dans Plages non loin de Nantes, la question morale se trouve en creux dans le choix, l’approche et la dichotomie entre l’amour spirituel, l’amour universel et mythique opposé à la consommation sexuelle, la débauche.
Si l’on se réfère aux études sociologiques, à propos des systèmes mythiques, par exemple, « on voit que les oppositions du système mythique font partie d’une idéologie visant à justifier la domination d’un sexe sur l’autre, en la fondant sur les nécessités du maintien de l’ordre de l’univers » (Bernard Verniers, Actes de la recherche en sciences sociales, 125, déc. 1998, p.84, Seuil). Or il s’agit dans le roman de Germont, semble-t-il, d’une nécessité intérieure de la réalité contre laquelle Jean Dervage et Morin, les deux principaux protagonistes du livre, s’affrontent pour s’en affranchir, afin de protéger [leur] libre arbitre. Si nous reprenons le fil de l’étude de la revue Actes, « la culture homosexuelle serait en train de mourir de son hédonisme, et à la sexualité sans loi du plaisir, il faudrait aujourd’hui préférer la (quasi) monogamie (…) post-moderne ». (Éric Fassin, p.72, idem). Mais laissons, pour conclure, la parole à Germont : il me plaisait d’exalter des lieux aussi méconnus et décriés que les boîtes de nuit parisiennes (…) les textes classiques (…) sublime et abondante moisson [des] jours heureux du dix-septième siècle (…) Le bonheur véritable est invisible or le mystère, lui, est partout visible.
Yasmina Mahdi
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