A propos de Syrie et autres poèmes, Salim Barakat
Ecrit par Didier Ayres le 04.05.17 dans La Une CED, Les Chroniques
Syrie et autres poèmes, Salim Barakat, Actes sud Sindbad, avril 2017, 112 pages, 16 €
Syrie et le poème
Il est très pathétique d’écrire quelques lignes seulement sur le recueil Syrie de Salim Barakat, surtout au gré de la connaissance que nous avons de jour en jour de la guerre en Syrie, et des bouleversements horribles que subit ce pays. Mais il restera sans doute mieux dans la mémoire des hommes de demain la langue et le propos humaniste, la ressource poétique pour expliquer et surmonter l’horreur. Néanmoins, et même si la terreur passe, car elle finira par passer, seules resteront les blessures et les larmes, et les poèmes qui les ont accueillies, et l’histoire des hommes ne fera que se poursuivre, d’événements en événements.
C’est en ce sens que cette petite anthologie du poète syrien Salim Barakat laisse passer le cours du temps et son écoulement, depuis 1987 jusqu’en 2015. On voit d’ailleurs assez nettement le temps qui passe, et les déflagrations dans le corps même du poème de la violence guerrière. Car la langue se troue, s’altère, des vers décrochent, les lettres se répètent, le blanc arrive comme un pansement. Donc, c’est la douleur elle-même qui s’invite à la noce du langage, « noces de sang » aurait dit Federico Garcia Lorca. Cela dit, il ne manque nullement de la pensée pour cette littérature qui dépasse les douleurs de la guerre, et qui réfléchit à elle-même, pour fabriquer un destin au peuple syrien – choses que l’on connaît en France très bien avec la Palestine de Mahmoud Darwich.
Salim Barakat pourrait être défini comme le poète du commencement, du mortel, de l’emplissage, du vide, de la fuite, de l’abstraction, du début et de la fin, comme points nodaux. C’est en tout cas ce qui vient à l’esprit très vite en lisant, avec regrets d’ailleurs pour les poèmes qui manquent, ces extraits des différents recueils, et il reste donc une escorte intellectuelle à constituer pour accompagner la reconnaissance publique de cet auteur.
Donnons la parole au poète.
Nulle santé ne me renvoie à ce que je fus.
Ni la fidélité de la montagne, ni mon grand-père,
Ni mes frères les chemins étroits,
Ni mes sœurs les pierres polies dans les lits des rivières.
Nulle aube ne me renvoie à ce que je fus.
On voit dès lors l’importance de l’effacement, de l’abrasion, du désir de vide, de vœu de nullité qui guettent à la fois l’écrivain et le pays du poète. Et c’est ici, en plus, encore l’esprit de la guerre et la souffrance d’un peuple qui émeut, qui nous rend pathétiques et concernés. En ce sens, le recueil contredit Adorno qui déclare qu’écrire après Auschwitz est impossible et barbare. Car le poème ici consiste à augmenter l’homme contre la barbarie, et à ne pas trahir par ailleurs la visée du poème qui est la langue.
Assieds-toi devant moi et dépose sur la table cette beauté qui a épuisé mes louanges ; la distance aussi, la distance de la colère encadrée comme la photo d’un grand-père, donne-la-moi ainsi que le soir qui pend sur ta poitrine comme une cravate. Ouvre les boutons de ta veste pour que je voie ce qui reste ; une étoile dissimulée et les restes d’une bataille ; une scène et des rossignols endormis au-dessus d’une épée. Dépose-les tous ici ainsi que l’incendie qui ne s’est pas encore déclaré.
Le poète opère une transaction avec son poème, comme tout homme compte sur la langue pour lui permettre de communiquer et d’avancer dans la fratrie humaine et son altérité.
[…] Je vais léger, plus profond qu’un hiver, plus perdu qu’un chrysanthème, à ces souks où les tissus se déchaînent dans les galeries, où le thé se déchaîne dans les galeries ; déchaînement simple qui fait tinter ses tasses de cuivre comme le font les vendeurs de réglisse froide.
Pour conclure, il faut répéter que la problématique de la poésie n’est pas le monde mais elle-même, celle de la matière considérée comme éthos, de la langue qui se fraie un chemin dans la beauté et l’inquiétude de notre destin commun, qui porte le monde vers son propre ailleurs. Donc, qui lutte par le silence de la lecture contre l’oubli.
Didier Ayres
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A propos du rédacteur
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Rédacteur
domaines : littérature française et étrangère
genres : poésie, théâtre, arts
période : XXème, XXIème
Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen. Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.