À propos de Mythologie personnelle, Christophe Esnault, par Didier Ayres
Mythologie personnelle, Christophe Esnault, Tinbad, 2016, 13,50 €
Un monde en noir
J’ai reçu ce livre il y a déjà un certain temps, et il est arrivé chez moi comme une sorte de point d’orgue à une suite de lectures qui m’ont occupé longuement. Et cet ouvrage, très désenchanté, plein de noirceur et de morbidité, a été un moment fort. J’avais à l’esprit, au fur et à mesure que je poursuivais ce livre, de le rapprocher du Soleil et l’acier de Mishima. En effet, le propos de cet essai sur l’art d’écrire, prend pour principe la puissance solaire, et jette l’opprobre sur le caractère volontairement lunaire et passif des images du background de l’écrivain. Cependant, on sait comment Mishima a terminé sa vie, et comment le seppuku final est resté dans les mémoires. Il y a donc dans cet « acier et ce soleil » une force noire et désespérée.
Mythologie personnelle s’appuie sur quatre grandes questions, dont la plus réussie, à mon goût, est celle qui traite du suicide. Car on y voit Christophe Esnault aux prises avec un monde dont la seule issue possible est le désespoir, comme forme de sentiment vital. On sait que l’angoisse est une espèce de poison autant qu’une émotion intérieure qui transmet des états d’âme, et en ce sens est un recours pour l’homme.
Et comme je faisais allusion à un auteur japonais, je n’hésite pas à parler du philosophe roumain, Emil Cioran. Pour lui, le suicide est une affaire d’optimiste, car le suicidé pense que sa situation peut s’améliorer, alors que selon Cioran notre condition d’homme est mauvaise, par essence, et n’a aucun remède.
& une ancienne infirmière écoute sa chanson préférée & s’injecte une forte dose d’insuline & dans sa cellule un homme tente de s’étouffer avec une chaussette la veille de sa libération & la pelote de la néantisation se dévide aux pieds d’une poupée blonde énucléée & sur des embarquements de fortune des familles épuisées fuient la guerre civile & le sac de courses craque et la confiture de mûre se mêle aux éclats de verre
Par ailleurs, j’ai pensé intituler cette note de lecture : un monde sans arrière-monde ; donc, je voulais disserter sur l’absence de métaphysique, d’espoir, de foi. Mais, ce livre est plus grand que cela, et ne se ferme pas que sur la partie physique, matérielle de la vie, mais lui restitue la vitalité originelle de notre condition humaine grâce à une lucidité cinglante. Là, l’amour physique est une mort clinique, là, règnent drogue, mort, suicide, toute une sorte de désespoir humain, et cela avec la clarté d’une opération chirurgicale, par des traits au scalpel. Oui, une sorte de monde en noir qui éclairerait la partie sombre de l’existence et de l’être, avec pour seule contrepartie la poésie. Vie ainsi vue sous l’angle le plus angoissant, en même temps que faisant appel à l’homme, comme seule alternative à la mort et à la fin.
Je marche vers la mort même quand mon corps est immobile. Un rendez-vous, la rencontre, la femme. Est-ce à dire que les autres femmes sont des femmes d’entraînement ? Je fume cigarette sur cigarette pour mourir plus vite. Je l’aurai mon cancer de la gorge. Oh ! l’impatience ! La rencontre est celle qui efface toutes les rencontres. Coller sa bouche à la mort et être happé par le baiser ultime.
Didier Ayres
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