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A propos de Meurtres en haut lieu, Hubert Letiers, par Mélanie Talcott

Ecrit par Mélanie Talcott le 13.09.17 dans La Une CED, Les Chroniques

Meurtres en haut lieu, Hubert Letiers, Editions Inspire (catégorie Policier Thriller), juin 2017 278 pages, 19 €

A propos de Meurtres en haut lieu, Hubert Letiers, par Mélanie Talcott

« Haletant, brûlant, pertinent, captivant, mené tambour battant, magistral, très efficace, envoûtant, sombre, addictif, un techno thriller dont vous ne sortirez pas indemne, une intrigue bien ficelée, un suspens assuré, etc. », Meurtres en haut lieu d’Hubert Letiers mériterait sans doute l’un ou l’autre de ces qualificatifs ambulatoires qui ont fini par perdre leur sens tant on les colle à tous les refrains de la critique littéraire et cinématographique, que le bouquin – dans ce cas – soit bon ou non.

L’histoire d’abord :

Sur fond très actuel d’une France appauvrie et muselée qui se barre en couille : « Lâché par ses bailleurs de fonds, le pays était en effet exsangue depuis plusieurs mois, et l’État Providence se gangrenait de plus en plus dans un désordre social qui le débordait complètement. Anesthésiée et perdue, la France explosait en communautés déracinées. Et cela, en même temps qu’elle entrait dans la réalité planétaire comme un astéroïde pénètre dans l’atmosphère. Entre solitudes morales, matérielle et intellectuelle, plus aucun ancrage ne semblait possible » –

et où l’ambigu binôme état d’urgence/terrorisme prend parfois des allures d’alibi pour mieux faire glisser des couleuvres liberticides et capitalistiquement juteuses pour les plus riches, un mystérieux political killer 3.0, qui signe EOS son scénario Apocalypse Now, a décidé de faire le ménage là où les gouvernants et leurs mercenaires en Armani ont pris l’habitude protectionniste de planquer leurs jeux de pouvoir sous les ors de la République.

Par hypocrisie, par crainte d’être désigné comme immoral, voire même d’être soupçonné de présomption de terrorisme d’État, bien peu avoueront tout de go éprouver une jubilation certaine à voir que des pourris de haut vol, une bonne trentaine de hauts fonctionnaires, politiciens, magistrats, avocats, policiers, soient remis à leur juste place, les pieds devant. Ce Batman 3.0, sauveur de la Cité au sens grec du terme, jouit d’emblée d’une certaine sympathie du fait qu’il accomplit ce que notre bon sens, ou plutôt le peu qu’il nous en reste, dénie à notre impuissance revancharde, teintée de résignation. La fiction a ceci de bon qu’elle trouve des solutions là où ne voyons que des voies sans issue. Comme le souligne très justement l’auteur, « Dans ce contexte, la psychose collective pouvant naître d’une prophétie meurtrière s’avérait parfaite pour divertir une nation au bord de l’embrasement», assertion que l’on constate quotidiennement via nos médias à la botte.

Les personnages ensuite :

Il est vrai que suite aux premiers macchabées, décédés spectaculairement des « opportunistes impeccables aux parcours obscènes » on ferait volontiers équipe avec le commandant Matteo Azani, un type éthique qui n’en pense pas moins, mais s’applique à rester dans les clous de la loi. En conséquence de quoi, au jugé de ses pairs et de quelques enfoirés, « les fayots patentés de la République », qui couvent pépère, mains sales mais culs coulés dans de la soie, leur carrière chez les flics, à la DGSI ou au ministère de l’intérieur, etc., au moindre faux pas, Azani est bon pour la déclassification professionnelle ou au lâcher létal si magouille politique oblige.

Clara, une jeune flic geek tout droit sortie du livre Millenium (on regrette un peu la référence citée par l’auteur pour ceux qui n’ont pas lu ce livre), débrouillarde, caustique et grande gueule, Atal Kathane, un Silicon Valley Indien transfuge dont l’administration française subit la présence sur son territoire pour des motifs pas très nets, Claude Portal, le boss d’Azani, Céline Shark, une journaliste en voie d’extinction, une « fouille-merde » carburant à la vérité en se foutant des menaces franches ou implicites du pouvoir en place : « Dynamiter la réputation d’un reporter d’investigation est souvent l’échappatoire choisie par les bandits de la République. Salir la notoriété d’un enquêteur est en effet plus facile que restaurer une intégrité perdue », et quelques autres protagonistes secondaires seraient également d’excellents compagnons d’aventure.

Voilà pour le décor.

Mais les coulisses sont bigrement plus intéressantes et convertissent Meurtres en haut lieu en un réquisitoire fichtrement actuel contre les mensonges d’État.

Corruption, délits d’initiés, trafic d’influences, fraudes fiscales :

« Il n’est pratiquement aucun grand projet dit de développement qui ne soit analysé autrement que par le prisme du bakchich attendu. Une pratique qui, au-delà de pervertir le choix des gouvernants et décideurs, ruine l’éthique de la plupart d’entre eux. Pourquoi se conformer aux règles, alors que leur transgression globale est une pratique admise dans l’intérêt national ?… Tous y baignent à un moment donné ou à un autre ».

A ce sujet, Hubert Letiers nous dresse un portrait magistral de la Brigade financière et de ses méthodes.

Cynisme assumé et à haute dose en face d’un peuple moutonnier qui voit en ce political killer le héros dont il a besoin pour au mieux se dédouaner de ses lâchetés et au pire, justifier si les circonstances s’y prêtent, ses débordements assassins : « La réalité brute ne ment pas mais les proxénètes du politiquement correct la déguisent pour en restituer une autre image. Selon eux, plus perfectible. Mais pour les autres, toujours plus absconse… […] Eh oui, si vous ne le stoppez pas, votre flingueur attirera plus de groupies que Rihanna n’en a jamais mobilisées tous concerts confondus ».

Tripotages des informations, manipulations informatiques, contrôle des réseaux sociaux et déshérence criminelle des lanceurs d’alerte : « Mais oui, Azani ! Et pas n’importe quelle vérité. La vérité du système multicouche dans lequel nos édiles mettent en scène l’illusion d’une justice. Une couche de petites frappes pour paralyser les curieux et les frondeurs. Une couche de marchés publics truqués. Et une grosse louche de corruption pour fidéliser les décideurs en costume trois-pièces… […] Il faut arrêter de vouloir faire gober au peuple que la démocratie mourra des chocs du terrorisme. Notre République se désagrège de l’intérieur parce qu’elle est gangrénée par l’avidité de ses représentants. Mais Internet change de plus en plus vite notre rapport à la mémoire du réel et à la recherche de la vérité… […] Tout événement est devenu désormais consommable. Y compris les attentats qui font de l’audience et génèrent de la pub pendant que les politiques s’appliquent à en récolter un maximum de voix ».

Tout y passe, marqué au subtil et au suggéré par les différents protagonistes, quelle que soit leur obédience politique. Il y a de la colère dans ce livre au demeurant fort bien écrit. Une colère froide, un écœurement, sans doute parce que l’auteur a connu de trop près ces milieux et leurs magouilles. Un système où tous les coups sont permis pourvu que chacun protège sa gamelle, à tel point que pour l’un des pontes des Renseignements Généraux « la saga d’un political killer imaginée par quelques dignitaires de l’État n’avait rien d’une hypothèse loufoque. Dans un espace médiatique cannibalisé par la téléréalité, le Pouvoir sait où et comment lever des talents dans l’art de la digression… […] Créer des problèmes pour ensuite offrir des solutions et faire appel à l’émotionnel plutôt qu’a la réflexion… […] ou les diluer (les problèmes) dans la mangrove islamiste ». Mais une colère également qui se veut bienveillante et bienfaitrice. Un coup de pied au cul dans nos conforts égoïstes, un coup de gueule pour secouer notre léthargie intellectuelle, quand non, notre j’men foutisme complice, argument massue de notre laisser-faire collaborateur. Bref, une autre façon de formuler ce trop amnistiant « Indignez-vous ».

Et puis en filigrane, cette question qui sera peut-être la réalité de notre futur, entre utérus artificiels, pilules alimentaires et taxes en tous genres jusqu’à celle de l’air devenu irrespirable : et si demain, une intelligence artificielle rendait la justice au nom du peuple ? Une justice qui s’appliquerait sans états d’âme et sans vacillation, là où il faut et quand il faut, sans se préoccuper ni de l’État ni du rang social ni de la religion ni de rien de ce que nous sommes ?

Tout dire de Meurtre en haut lieu serait trahir sa lecture. Certes, on peut le lire les doigts de pieds en éventail comme un thriller sympatoche. C’est fun et il y a du groove. Juste ce qu’il faut pour en édulcorer le sérieux. C’est vrai que celui-ci n’est pas commercial par les temps qui courent. On veut penser léger.

Meurtre en haut lieu dissimule néanmoins une belle charge de dynamite. D’abord pour Hubert Letiers qui met ses mots là où il ne faut pas, bien plus que ne l’a fait le « boboisant » L’Insurrection qui vientrédigé par un Comité Invisible. L’auteur ici prend des risques dont celui de se voir fiché comme trublion à surveiller. Un incunable politique planqué sous un thriller… voilà de quoi en fâcher plus d’un qui sans être cités, se reconnaîtront aisément.

Pourtant, l’auteur ne fait rien d’autre que de nous rappeler que cette hégémonie de la magouille au sein du pouvoir a toujours existé. Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain. Ce sont les mêmes Ponce Pilate qui ont acté hier ces monstruosités que furent la Shoah et autres génocides et aujourd’hui, à l’identique mais sous une forme plus subtile, l’holocauste humain, démocratique, écologique et industriel que nous subissons allègrement. La vraie vie quoi !

Il ne fait rien d’autre que de nous rappeler implicitement qu’il existe un droit constitutionnel et international à la Désobéissance Civile*. Pourquoi personne, ou quasi, ne veut le mettre en application ? Pourquoi ce droit ne deviendrait-il pas un devoir ?

C’est là où Meurtres en haut lieu touche au tragique et a un impact plus dévastateur que la série américaine Black List, car il est réel, palpable, et agit à guichets fermés juste sous nos yeux. Rien n’a changé et rien ne changera tant que les citoyens que nous sommes censés être auront la tête dans le cul et se laisseront embastillés par des contre-états illusoires, juste pour se sentir moins couillons et plus propres. Tout va bien dans le meilleur des mondes.

 

Mélanie Talcott

 

* « On ramène souvent ce droit au procès de Nuremberg où les juges ne se sont pas bornés à reconnaître le droit de la personne à désobéir aux normes iniques, mais ont aussi condamné ceux qui avaient obéi à ces normes, transformant ainsi le droit de désobéir à un ordre illégal ou inique en un devoir dont l’inaccomplissement mérite la punition correspondante » (dixit Wikipédia). Mais avant Nuremberg, il eut bien d’autres instigateurs, de l’Antiquité à nos jours, en passant par La Boétie, Henri David Thoreau, Gandhi, Martin Luther King, etc.

Voir à ce sujet La désobéissance civile au XXIème siècle d’Howard Zin

http://www.non-violence-mp.org/reflexions_fichiers/HTML/zinn.htm

https://resistance71.wordpress.com/2014/01/14/resistance-politique-la-desobeissance-civile-au-xxieme-siecle-howard-zinn/

 

Né en 1954, Hubert Letiers passe les 24 premières années de sa vie à Paris où il empile les petits boulots, jusqu’au terme d’une formation d’ingénieur qui lui ouvrira la porte de groupes à dimension mondiale. Globe-trotter dans l’âme et mercenaire industriel par opportunité professionnelle, il consacre ensuite 25 ans à la restructuration d’entreprises, en Europe, mais aussi et surtout dans des pays aux économies informelles, à la législation non aboutie, et culturellement aux antipodes de nos concepts occidentaux. Un parcours ponctué de rencontres improbables et riches de situations parfois extrêmes. En 2012, il quitte la sphère des fonds d’investissement, et prend ses distances vis-à-vis d’une industrie financière qu’il juge entropique et de plus en plus délétère. Ayant toujours eu un goût rémanent pour la littérature, entre 2012 et 2016 il choisit de partager son temps entre coaching organisationnel et écriture. Durant cette période, il écrit deux premiers thrillers, ADN 3.0 et Martingale d’un fou, tous deux inspirés de son propre patrimoine d’expériences multiculturelles. Meurtres en haut lieu est son troisième thriller. Il a aujourd’hui définitivement opté pour une écriture en mode thriller. Un genre dans lequel il ne revendique pas d’être un quelconque modèle littéraire, mais où il se sent à l’aise pour conjuguer la fiction avec la réalité d’un monde en panne d’humanité. Un monde dont il connaît les coulisses pour y avoir longtemps traîné. Un monde dont il a appris à ne jamais cautionner les « versions officielles ».

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A propos du rédacteur

Mélanie Talcott

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Maquettiste free-lance (livre papier et numérique, livre clé en main)

Écrivain et auteur de : Les Microbes de Dieu (2011), Alzheimer... Même toi, on t'oubliera (2012)

Chronique à l'Ombre du Regard (2013), Ami de l'autre rive (2014), Goodbye Gandhi (2015 -

prix du jury 2016 du polar auto-édité), La Démocratie est un sucre qui se dissout dans le pétrole (2016)