Brève histoire d’un perdant
L’album intitulé Comment j’ai raté ma vie, conçu par les auteurs, illustrateurs et scénaristes, Bertrand Santini et Bertrand Gatignol, se présente comme un carnet de croquis luxueux, au format original de 22x16,7 cm. Ce livre-jeunesse relate l’enfance assez solitaire – pour ne pas dire triste – d’un garçonnet que l’on voit passer à l’âge adulte. Le ton est décalé et caustique. Le titre Comment j’ai raté ma vie, suivi d’un avertissement « ou comment ne pas rater la vôtre », annonce le caractère général de ce petit traité de philosophie, si je puis dire. Les monologues se situent plus près des tankas occidentaux que des répliques des phylactères de bandes dessinées.
Ainsi, les assertions, les allégations sous forme de phrases très courtes se trouvent plutôt en décalage avec les images figurées. Le commentaire est personnel, iconoclaste, subversif, et les valeurs bourgeoises traditionnelles des « bobos » sont exposées, contestées avec humour et virulence. Des épithètes et des qualificatifs jalonnent les aléas d’une existence assez morose. Les arbres se dressent, solitaires, hivernaux, aussi vidés de présence humaine et familiale que les lieux de ville ou de banlieue, privés ou publics. Des masses très sombres, noires de suie, opposent des contrastes forts avec le blanc de chaque page. Des ombres portées grises rosées nimbent certaines parties des planches graphiques. Le trait du dessin est sûr, architecturant les scènes composées à 90 degrés, sous divers angles et points de vue. L’image à elle seule rend les sentiments intérieurs des moments précis de l’existence du protagoniste.
Je pense à des éléments communs avec les albums de Claire Bretécher, considérée comme la « pionnière de la critique sociale », bien que ses personnages aient des contours plus elliptiques, et soient plus caricaturaux. Comment j’ai raté ma vie conserve une proximité avec le dessin de presse français, dont celui de l’humoriste Piem, ainsi qu’avec les bonshommes chapeautés de Topor, revenus s’échouer dans l’univers plus contemporain de Santini et Gatignol, plus froid. La fable n’est pas tendre, l’histoire d’un perdant, et les deux auteurs pourraient poursuivre ces aventures au féminin, par exemple…
Yasmina Mahdi
À propos de Comment j’ai raté ma vie, Bertrand Santini, Bertrand Gatignol (par Yasmina Mahdi)
Ecrit par Yasmina Mahdi le 10.05.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Jeunesse
Comment j’ai raté ma vie, Bertrand Santini, Bertrand Gatignol, Grasset Jeunesse, avril 2019, 48 pages, 12,50 €
Brève histoire d’un perdant
L’album intitulé Comment j’ai raté ma vie, conçu par les auteurs, illustrateurs et scénaristes, Bertrand Santini et Bertrand Gatignol, se présente comme un carnet de croquis luxueux, au format original de 22x16,7 cm. Ce livre-jeunesse relate l’enfance assez solitaire – pour ne pas dire triste – d’un garçonnet que l’on voit passer à l’âge adulte. Le ton est décalé et caustique. Le titre Comment j’ai raté ma vie, suivi d’un avertissement « ou comment ne pas rater la vôtre », annonce le caractère général de ce petit traité de philosophie, si je puis dire. Les monologues se situent plus près des tankas occidentaux que des répliques des phylactères de bandes dessinées.
Ainsi, les assertions, les allégations sous forme de phrases très courtes se trouvent plutôt en décalage avec les images figurées. Le commentaire est personnel, iconoclaste, subversif, et les valeurs bourgeoises traditionnelles des « bobos » sont exposées, contestées avec humour et virulence. Des épithètes et des qualificatifs jalonnent les aléas d’une existence assez morose. Les arbres se dressent, solitaires, hivernaux, aussi vidés de présence humaine et familiale que les lieux de ville ou de banlieue, privés ou publics. Des masses très sombres, noires de suie, opposent des contrastes forts avec le blanc de chaque page. Des ombres portées grises rosées nimbent certaines parties des planches graphiques. Le trait du dessin est sûr, architecturant les scènes composées à 90 degrés, sous divers angles et points de vue. L’image à elle seule rend les sentiments intérieurs des moments précis de l’existence du protagoniste.
Je pense à des éléments communs avec les albums de Claire Bretécher, considérée comme la « pionnière de la critique sociale », bien que ses personnages aient des contours plus elliptiques, et soient plus caricaturaux. Comment j’ai raté ma vie conserve une proximité avec le dessin de presse français, dont celui de l’humoriste Piem, ainsi qu’avec les bonshommes chapeautés de Topor, revenus s’échouer dans l’univers plus contemporain de Santini et Gatignol, plus froid. La fable n’est pas tendre, l’histoire d’un perdant, et les deux auteurs pourraient poursuivre ces aventures au féminin, par exemple…
Yasmina Mahdi
A propos du rédacteur
Yasmina Mahdi
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rédactrice
domaines : français, maghrébin, africain et asiatique
genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd
maison d'édition : toutes sont bienvenues
période : contemporaine
Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.
DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.
Co-directrice de la revue L'Hôte.
Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.
Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.