À mon père, mon repère, Fawaz Hussain (par Yasmina Mahdi)
À mon père, mon repère, Éditions du Jasmin, septembre 2021, 206 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Fawaz Hussain
Los
Dans son nouveau livre, Fawaz Hussain s’adresse à son père, un repère pour lui, le fils, un point d’ancrage, un jalon, en un los élogieux : « océan d’amour sans rivage, immensité de bonté ». Il saisit la figure d’un homme rare, cavalier, à la dentition en or, « autrefois une ornementation faciale très courante chez les femmes transitionnelles-traditionnelles (…) un signe de prestige » (Fatima Ayat, Horizons Maghrébins n°25/26, 1994). Cette mode très appréciée a été depuis dépréciée à cause de l’occidentalisation du Maghreb, puis redevenue l’apanage de riches rappeurs internationaux, adeptes de grillz, prothèses en or et incrustations de pierres précieuses. Fawaz Hussain aborde de nouveau sa filiation avec le peuple kurde, dont la présence et la civilisation sont anciennes.
En 2020, la pandémie mondiale du Covid-19 a déclenché une paralysie économique, des décès en masse, un couvre-feu sur tous les territoires, en plus du « bras de fer entre les syndicats et le gouvernement ». Cette crise a entraîné une récession, affecté la population, ce qui n’est pas sans rappeler l’émouvante chronique Un Nègre à Paris, de Bernard Binlin Dadié (1916-2019), par exemple, où les questions des droits des Africains, des émigrés, de la misère ambiante et de la grave crise économique de 1930 sont traitées. L’Histoire se répète en quelque sorte : « Tous les grands événements et personnages de l’histoire du monde se produisent pour ainsi dire deux fois… la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide… » (énoncé liminaire de l’étude de Marx sur Le Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte).
Fawaz Hussain rêve, aborde le quotidien en poète, le long de cette autobiographie romanesque, les jours et les nuits d’habitants d’un quartier cosmopolite, lors du confinement. Ce récit à la première personne devient rétrospectif par la dédicace au père absent, tout en retraçant la genèse d’une individualité. Polyglotte, le protagoniste dévide un écheveau non pas de laine cardée, mais de souvenirs et d’éléments spirituels à l’adresse de ce père lointain. Il tisse un tapis volant invisible et fantasmatique, le dépôt de ses souhaits antérieurs et présents, afin de rejoindre l’ancienne Mésopotamie et la petite ville où il a grandi. Notons les belles pages sur le « cérémonial du café (…) ce breuvage noir, amer et corsé [au] jet épais et brûlant », breuvage raffiné, qui assure la cohésion et la transmission du groupe, les réminiscences « dans un passé dont les valeurs chevaleresques s’organisaient autour du courage ». La position transitionnelle de l’écrivain, est à la fois signe du passage d’un état à un autre. Ici, la translation d’une transision (une agonie) à une transsition (rhétorique du passage ménagé d’une chose, d’une idée, à une autre). C’est principalement par le biais transitionnel, par l’intermédiaire de ce père que l’ouvrage est traité et fait passage. À mon père, mon repère, se situe entre le genre autobiographique et une apologie, un hommage, un los. Ce texte écrit en français est une pierre de plus à l’achoppement de la généalogie de la Syrie, et des passages s’harmonisent avec le manuscrit de Khaled Khalifa, écrit en arabe, Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville.
Citons, pour clore cette courte étude, Fawaz Hussain :
« La vue des coquelicots en très grand nombre en contrebas, du côté de la place Bagnolet, m’a mis une grosse quantité de baume dans le cœur. Ces fleurs éphémères, avec leur corolle de quatre pétales si fragiles se chevauchant, m’ont rendu à mon enfance au village quand nos terres se couvraient d’un tapis rouge. (…) Durant quatre jours, j’ai arpenté les ruelles poussiéreuses de cette petite bourgade de Khiva ceinte de remparts (…) surmontant un mausolée, les fanions blanc, rouge et bleu étaient quasi immobiles dans l’air saturé de lumière blanche ».
Yasmina Mahdi
Fawaz Hussain est un écrivain kurde né dans le nord-est de la Syrie, et depuis 1988 docteur ès lettres de la Sorbonne. Il est l’auteur de plusieurs romans (Murcie, sur les pas d’Ibn Arabi, La Prophétie d’Abouna, Le Fleuve, etc.) et d’essais.
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