A la recherche de Marie J., Michèle Sarde (par Sandrine Ferron-Veillard)
A la recherche de Marie J., octobre 2019, 368 pages, 20 €
Ecrivain(s): Michèle Sarde Edition: Julliard
« Les noms des personnages vivants ont été remplacés par des initiales et leurs prénoms ont été changés. Le moins possible ».
Ne cherchez pas non plus dans les remerciements, les prénoms du livre. Entre autres, Yolène, Elena, Rodriguo. Il n’y a aucune initiale.
Seule est, Marie J.
Certains liens sont indéfectibles, au-delà des identités.
Ce serait par exemple une ressemblance troublante entre elle, l’auteure dont le prénom n’est pas Michèle, et sa grand-mère. Marie J. Troublante au point de « passer sa vie à » rechercher derrière les traits d’un être vivant, le visage d’un autre. Décédé en 1944.
Michèle Sarde reste fidèle à ses voies intérieures. Dévoiler les itinéraires des personnes, les exhumer, les réunir. Les rétablir. Parce qu’il faut faire « absolument » quelque chose, faire et agir pour contrer l’amont de cadavres et l’effroi du vide. Poussée cette fois-ci par une force intime, celle qui écoute les voies des morts. Les siens. Leur offrir une sépulture ou ramasser les débris des âmes, de tous les gènes qui composent une écriture. Mettre la vie en écriture.
Juste permettre à ceux derrière, de se tenir devant, unis près d’elle. Sa grand-mère, Marie J. Et sentir sa main posée sur son épaule.
À l’instar de Revenir du silence, l’auteure mène son enquête. Le mot « quête » serait plus approprié. D’abord malgré elle. Ces appels anodins, très vite incessants, impossibles à ignorer. L’appel de sa grand-mère pour restaurer son histoire, pour intensifier l’architecture de son existence. Pour mourir en paix, pour mourir enfin. Une ombre dans le sang, parmi les ombres, dotée d’un corps doté d’une âme. Et tous les lieux qu’il lui faudra parcourir pour relever un à un chaque morceau, chaque écho. Marquer un passage. Une voix. Les faits comme autant de briques bâtissent un être.
Les faits ? or lesquels sont vrais, lesquels conserver, lesquels ont été falsifiés parce que ceux qui ont menti avaient intérêt à le faire.
Les failles humaines et leurs mémoires si fragiles. Si soumises aux courants, aux vents, à l’état d’un ciel. Faites de sang et d’émotions. Du traumatisme à jamais tu.
Les documents ont disparu, les objets auraient été fondus, les tissus ont brûlé. La « chasse à l’exactitude » semble inespérée et pourtant. L’auteure utilise là toute son expérience, telle une bougie placée devant elle à son seul usage. Son expertise, ses méthodes, et pourtant. Les ancêtres savent à qui s’adresser quand il s’agit de restituer « l’exactitude ». Les rendre à la vie, leur rendre leur vie. Choisir entre « la vérité historique » et « la vérité humaine ». Et pourtant.
« (…) on n’interroge pas un fantôme sur ses papiers d’identité ».
Les membranes spatio-temporelles éclatent, elles contiennent ou protègent, ici elles se distendent. Et les objets sont des temples que chaque génération entretient. Une terre et une aura. Certains survivront aux déménagements, à l’émigration, à la fuite, à l’exil, à la persécution, à la déportation. Au vol. Les objets et les femmes. Les femmes sont ici les gardiennes des cuisines, des gestes ancestraux et des aliments rituels. Les femmes et les langues. La langue judéo-espagnole.
« Tu ne sais pas toi ce que c’est quand ta langue n’est plus parlée, quand elle se dégrade. Elle meurt avec toi ou plutôt c’est toi qui meurs avec elle. L’espanyoliko muestro est mort avec nous dans les camps d’extermination… ».
Les femmes. Leur ventre, propriété des hommes et des lignées. Les femmes. Telle que Marie J. Regardez les quatre photos au dos du livre, sur la couverture, regardez-les bien. La beauté d’une femme. Son port de tête jadis soumis triomphe tandis que son corps jadis assis, mince, s’arrondit, puis devient plus massif, puis se tient droit, se tient désormais face à l’objectif. Et lisez tout le drame d’une femme. Une femme est ici un couple. La femme et le couple seront unis par intérêt, pour le prix de la beauté, par dépit. Parce que c’est ainsi. Cela aussi, il faudra le raconter et dans les familles, s’en souvenir. Raconter parce que les êtres sont encore vivants, toujours morts, raconter ce qu’il ne faudra jamais oublier, se souvenir car nul ne comprendra jamais ce que fut. La déportation, l’extermination. Les camps. La Shoah. L’holocauste. Sans doute est-ce cela, appartenir à cette mémoire-là. Être juif.
Les oubliés d’une lignée et les amputés qui survivent comme autant de corps perdus, jetés d’un balcon.
L’intérêt de ce livre est historique, indéniablement, la dimension de son témoignage. Le cheminement personnel d’une femme « chevillée » à une autre, la petite fille et sa grand-mère, l’amour et la filiation au-delà de ce que fut l’avant, l’après.
Pour avoir tenu une mèche de cheveux blonds, réduits en cendre. Et saisir là, à quelques pages de la fin, la vérité d’un être. Tout au moins, une infime part.
La vie des êtres n’est pas injuste, elle est tragique.
Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard
Michèle Sarde, née en 1939, est romancière (Histoire d’Eurydice pendant la remontée, Constance et la cinquantaine), essayiste (Regard sur les Françaises, prix Biguet de l’Académie française et bourse Marcelle Blum de l’Académie des Sciences morales et politiques), et biographe (Colette, libre et entravée, prix Roland de Jouvenel de l’Académie française, Vous Marguerite Yourcenar, Jacques le Français). Agrégée de lettres et longtemps professeure de littérature et culture française à l’université de Georgetown (Etats-Unis), elle a consacré une bonne partie de ses livres à l’observation des femmes. Les liens entre l’écriture et la vie, l’expérience concentrationnaire ainsi que la mémoire personnelle et historique, hantent toute son œuvre, traduite dans plusieurs langues. Michèle Sarde a reçu le prix Wizo 2017 pour son précédent ouvrage, Revenir du silence, publié aux éditions Julliard.
VL2
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VL3 : assez haute VL
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