À la folie, Patricia Ryckewaert (par Murielle Compère-Demarcy)
À la folie, Patricia Ryckewaert, éditions Tarmac, juin 2022, 105 pages, 15 €
Edition: Tarmac Editions
Les mots chez Patricia Ryckewaert battent les flancs d’une louve et si le poème sort du terrier de son territoire, c’est pour griffer, hurler, écorcher les codes de ce qui ne pourrait se dire sans vociférer. La poésie de Patricia Ryckewaert crie tout en dedans et si le poème affleure, si « le poème nous effleure / autant qu’il nous griffe », s’il « roule et coule en nous comme une eau fraîche » – le cri du combat qu’il charrie (à fleur de terre ruisselante ou souterrain, en résurgence) ne saurait se tarir dans les eaux rouges et vives où vers l’estuaire, le fleuve d’écrire et de crier la vie se jette jusqu’à plus loin que n’importe quelle rive. Nous touchons, avec À la folie, l’Écrire comme expérience de l’extrême, nous entrons dans l’expérience littéraire des limites, et la voix féminine qui nous parle est celle d’une louve.
On pourra bien me faire porter une robe rouge
me perdre dans les bois
me faire traverser le miroir
que je me frotte aux fantasmes des hommes
Regarde je n’ai plus peur
le loup pourra bien ouvrir sa gueule
le lapin blanc me séduire
Regarde je n’ai plus peur
j’ai les mots de courage pour le dire
les mots à battre sous ma peau
comme une armée de mères
Une femme-poète se lève, se dresse, déchirante dans son cri enrobé d’une rage contenue qui affirme. Qui corrige. Qui reformule le monde à la hauteur de ses femmes et de leur chœur de battantes. Qui confirme que « Nulle autre qu’elle / ne sait mieux la colère / le cri enfoui / le chant des perdus ». Son chant d’amour est un chœur poétique proférant la voix polyphonique de la tragédie humaine. Catharsis comme l’était la tragédie antique, son vaste poème fait corps avec nos désirs, nos blessures, nos lapsus, nos plus cruelles évidences – et fait éclater le corps de ce qui va de soi, la proue de nos plus beaux navires – et creuse sous les cicatrices ce que la plaie des yeux et des lèvres suppure pour mieux évacuer l’ordurière nuit dévastatrice du monde quand sa beauté est menacée.
Mille éclats de lumière en suspens
toute l’ardeur céleste à nous ébahir
à nous tenir en éveil
nous empoigner, nous soulever aussi
L’amour, vrillé à l’espoir, retentit tel un gong dans le vibrato infini de nos silences enfouis, et fait corps avec la brèche d’où nous sommes issus, qui est notre issue. La poésie ne serait-ce pas ce qu’inaugure la femme-poète dès les premiers mots risqués sur la portée d’À la folie ?
Elle traverse tous les silences
avant le criblage
juste avant que le printemps
ne renaisse dans sa peau
ou le poème ne serait-il pas
(…) la voie du cri
le chemin de croix et celui du désir
la voix des autres aussi
quand il dit l’indicible
avec en son souffle
l’espoir de germes
Afin que le poème retentisse, fasse écho au plus profond de notre béance, résonne depuis nous jusqu’au grand large, depuis le monde jusqu’à nos fors intérieurs, la folie devient le refuge où l’immense déborde notre coquille pour nous donner à entendre la mer rassérénée s’écrire sous les vagues de l’existence. Alors, sur les ronciers du cœur il devient possible d’envisager, entre les lignes, le ciel en paix des roses sauvages, pourvu que les mots ne trichent pas, pourvu que nous aimions « à la folie », pourvu que « de là où » nous parlons nous sachions écrire, la bouche crue et brutale, « de ce qui se débat et résiste »…
Murielle Compère-Demarcy
Patricia Ryckewaert, ancienne infirmière devenue psychothérapeute après un long chemin psychanalytique, vit dans le Luberon. Sa poésie interroge le rapport à soi et au monde (le désir, les passions humaines, l’identité, la mémoire, la nature et le temps, la langue, la perte). Elle tente de mettre en lumière les lignes de faille, l’instant où tout bascule et ce qu’on mobilise en soi pour tenir. Ecrire l’indicible et en faire autre chose. La poésie, un processus vital.
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