À la crête des vagues, Lancelot Hamelin
À la crête des vagues, août 2016, 306 pages, 21 €
Ecrivain(s): Lancelot Hamelin Edition: L'Arpenteur (Gallimard)
Lancelot Hamelin, dans son premier roman Le couvre-feu d’octobre, décrivait les destins divergents de deux frères, opposés sur l’attitude à adopter sur le conflit algérien. Dans ce second roman, c’est la question de l’intégration qui est abordée, et plus précisément celle de savoir si les individus, séparés par l’histoire, les mœurs, la religion, les classes sociales peuvent encore emprunter une passerelle pour communiquer ou tenter de faire connaissance. Cette dernière démarche est réussie par Karim, alias JKK. Ce jeune homme vit dans les quartiers nord de Marseille, de trafics de voitures volées, de recels de matériels automobiles qu’il organise avec Zohar, un copain originaire des Comores, et un vieux légionnaire sur le déclin, que tous deux visitent régulièrement pour leurs affaires. Par une chance extraordinaire, il parvient à rencontrer Laurélie, jeune fille fringante, séduisante, bourgeoise bien installée, dont les parents, Charles Mazargue, juge aux idées progressistes, et Thereza, son épouse, fille d’un docker syndicaliste, partagent ces mêmes idéaux.
Tout serait caricatural, déjà écrit, vu l’éloignement des protagonistes en présence. Leur relation serait inenvisageable, à ceci près que Karim décide, pour « infiltrer » cette famille, d’inventer un gros mensonge et de se faire passer pour un étudiant en deuxième année de médecine. Ce recours au mensonge, il le justifie, intérieurement, par une condescendance qu’il croit déceler dans l’attitude de cette famille qui veut, croit-il, l’ajouter aux exemples de « l’assimilation à la française ». Pour atteindre son but, il fait appel à Karima, étudiante en médecine qui l’initie aux rudiments de cette discipline et lui apprend à déchiffrer les manuels médicaux.
En lisant Le Comte de Monte-Cristo, Karim éprouve déjà du plaisir : « en lisant, il comprenait comment la logique de cause à effet qui relie les accidents de la vie se cachait dans la masse informe du réel pour ressurgir d’un coup. Oui, parfois le sens des événements apparaît à nos yeux ».
Karim passe par tous les états d’âme, toutes les situations psychologiques imaginables : dépression, doute, attraction pour cette famille, répulsion, dégoût, mépris. C’est l’intérêt de ce roman de décrire avec grande précision et pertinence ces réactions, pour révéler à tout moment son état d’esprit, ce qu’il éprouve vis-à-vis de Laurélie, cet amour inespéré : « Dans cette société dont il était exclu, où les Mazargue avaient envisagé de l’introduire, la liberté d’expression se réduisait à cette médiocrité convenable qu’on réservait à l’individu. Aussi, mettait-il tout son talent d’éponge à absorber les bonnes manières mentales que Thereza lui communiquait au cours de ce lavage de cerveau ».
Au final, le « petit Maure », expression qu’il surprend dans la bouche de Thereza pour le qualifier, mettra fin à cette relation impraticable. Il s’en ira rechercher son père, vers Paris, pour résorber un contentieux personnel, celui d’une paternité douloureuse.
A la crête des vagues est un roman, tout comme le premier de l’auteur, qui s’attache aux choix possibles d’un être humain dans l’existence ; il dépeint avec une grande efficacité les obstacles, leur nature, leurs origines qui empêchent, partiellement ou totalement, la réalisation desdits choix.
C’est le grand mérite de ce roman, dont la lecture est à recommander.
Stéphane Bret
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