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A Jérôme Ferrari (4) (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino le 22.10.20 dans La Une CED, Les Chroniques

A Jérôme Ferrari (4) (par Marie-Pierre Fiorentino)

 

Les mondes possibles de Jérôme Ferrari, Entretiens sur l’écriture avec Pascaline David, Actes Sud/diagonale, février 2020, 176 pages, 18 €

 

À la fin de l’été 2018, je me délectais de votre dernier roman à peine sorti, À son image. Deux années… Mais je vous sais gré de votre parcimonie. Elle dompte ma gloutonnerie et me conduit sur le chemin de la lecture telle que Nietzsche la conseillait pour ses propres œuvres, lente afin d’être digérée.

Vos entretiens avec l’éditrice Pascaline David offrent d’ailleurs largement de quoi me faire patienter jusqu’à votre prochain opus, m’invitant, à travers le regard que vous portez sur les précédents, à en reconsidérer mon palmarès personnel. Un dieu un animal a ainsi pris du galon.

J’avoue pourtant que la quatrième de couverture et l’incipit de ces entretiens, qui présentent le livre comme une sorte de recueil de conseils, m’avaient un instant inquiétée. Vous, vous livrer à cet exercice ressassé, consolation pour auteurs devenus stériles ou exutoire pour célébrités littéraires souffrant d’une prétention démesurée ?

Or, quoi de plus contraire à celle-ci que votre modestie ? À propos du Sermon sur la chute de Rome, vous relativisez : « Je pense que le contenu du livre, les gens n’en avaient pas grand-chose à faire, l’important c’était qu’un Corse obtienne le prix Goncourt ». Lucidité sur la façon dont tourne le monde ?

Cohérence, dans tous les cas, avec le sens de l’existence tel qu’il apparaît dans tous vos écrits. La trajectoire que chaque homme commence à tracer est tôt orientée par ce qu’on appelle, confusément, la vie : l’histoire des peuples comme des faits anecdotiques et même ses propres désirs balayant la volonté.

Vous concernant, je suis très contente que la vie ait fait passer votre trajectoire par ce point de repère si convoité, le Goncourt, même si, parce que je confesse mon préjugé concernant ce prix, elle a failli, à cause de lui, me décourager de vous découvrir. Il m’amuse à présent de croire que ma fascination pour votre œuvre, couvant dans un monde possible, s’est réalisée grâce à d’improbables circonstances ; je me rappelle leur fragile enchaînement avec le même soulagement que le Petit Poucet retrouve les cailloux le ramenant chez lui.

Les mondes possibles… Leibniz, précisez-vous, reconnaît pour tels « ce qu’on appelle roman ». Au passage, vous accordez beaucoup d’importance à la métaphysique de Leibniz ; il me faudra la relire pour en effacer de mauvais souvenirs. Mondes possibles, donc. L’expression évoque tous ces mondes que vous avez créés et créerez encore en miroir de la réalité.

Un monde possible « ne devient jamais réel » avertissez-vous, pas plus qu’il n’imite le réel au risque que « le souci de réalisme historique ou sociologique donne parfois des résultats effarants et finit paradoxalement par sonner faux ».

Pourtant, et ce n’est pas contradictoire, vous confiez que vous ne sauriez situer une scène, une intrigue, dans un lieu où vous n’êtes pas allé, non pas dans l’intention de décrire scrupuleusement celui-ci mais parce qu’à travers l’intermédiaire que vous êtes entre ce lieu et le lecteur, celui-ci doit sentir l’authenticité de l’arrière-plan jamais dessiné mais toujours tendu en toile de fond. Il paraît que Léonard de Vinci disséquait, en secret la nuit, des cadavres, craignant que l’ignorance de ce qui se dissimule sous la peau ne l’empêchât de donner vie à des corps dont le spectateur ne voit pourtant que l’enveloppe.

Mais dévoiler n’est pas déballer. « Les choses qui suscitent chez moi une émotion me concernent intimement » assénez-vous pour couper court à toute tentative de rapprochement entre telle page et tel épisode personnel. De toutes façons, insistez-vous, on écrit mal sous le coup de l’émotion.

Si conseil à l’aspirant écrivain il doit y avoir, alors en voilà un. Comme cet autre – et ce n’est pas un hasard si j’employais au début de ma lettre l’image de la digestion – : il faut avoir pris assez de recul avec ses lectures pour que ce que l’on écrit ait quelque intérêt.

Et de vous moquer des citations fréquentes qui émaillaient vos premières publications. Comme j’ai aimé, pourtant, dans ces exergues généreux, découvrir vos lectures et parfois m’y retrouver ! Mais leur disparition, vous avez raison, a rendu vos textes plus lumineux, comme si elles avaient été un voile devant ce que vous n’osiez – ou ne pouviez – pas encore livrer. Leur absence est la licence, accordée par vous, à votre puissance créatrice.

La création demeure toutefois un mystère. Vous êtes un prestidigitateur qui, en révélant sans ambages les secrets de ses tours, est en train d’opérer une magie véritable : personne ne sera capable de les reproduire car la recette qu’il a semblé offrir n’en est pas une. L’artiste n’a pas de recette.

Je joue, le livre refermé, à ce que je vous aurais demandé que votre interlocutrice aurait négligé. Difficile tant elle a été habile à cerner l’essentiel tout en respectant, si j’ose m’exprimer ainsi, votre marque de fabrique : la brièveté efficace. Quoi d’autre donc… ?

Oui tout de même : quand savez-vous que vous avez terminé, que vous pourriez certes changer un mot, une ponctuation et recommencer à l’infini mais qu’il est temps de considérer le manuscrit comme achevé ? Comment savez-vous que vous avez atteint l’équilibre parfait entre parole et suggestion, que vos pages emporteront le lecteur dans des espaces et des temps distendus par l’histoire ? Quelle témérité ou quel besoin de retrouver, un instant, l’insouciance de celui qui ne porte rien en gestation, vous murmure que voilà, vous avez fini de tisser ces espaces et ces temps et l’étoffe serrée à travers laquelle passe la respiration de tous ces mondes que vous révélez peut enfin devenir cet objet : un livre ?

 

Marie-Pierre Fiorentino

 

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A propos du rédacteur

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature et philosophie françaises et anglo-saxonnes.

Genres : essais, biographies, romans, nouvelles.

Maisons d'édition fréquentes : Gallimard.

 

Marie-Pierre Fiorentino : Docteur en philosophie et titulaire d’une maîtrise d’histoire, j’ai consacré ma thèse et mon mémoire au mythe de don Juan. Peu sensible aux philosophies de système, je suis passionnée de littérature et de cinéma car ils sont, paradoxalement, d’inépuisables miroirs pour mieux saisir le réel.

Mon blog : http://leventphilosophe.blogspot.fr