À, Jacques Goorma
À, mai 2017, 136 pages, 14 €
Ecrivain(s): Jacques Goorma Edition: Arfuyen
Dès le titre du nouveau recueil de Jacques Goorma, À, considéré ici comme une préposition à l’hommage, à la dédicace ou l’adresse, l’on prend conscience que l’on est devant un ouvrage singulier. D’ailleurs l’ingéniosité des éditeurs Anne et Gérard Pfister peut bel et bien servir à la découverte de textes neufs, originaux, vivifiants. Cela dit, il reste à expliquer en quoi cette nouveauté, ce particularisme est pertinent. L’on peut concevoir assez vite une impression qui s’accentue au fur et à mesure. Et c’est le mot génération qui vient, ou celui de poésie originelle. Ainsi, nous sommes à l’aube, au début, au commencement, à l’origine d’un sentiment, à la génération d’une idée, plongés dans le spasme bref d’un éclat qui cherche une sorte de commencement éternel. De genèse sans fin.
On se trouve avec À devant une préposition/proposition servant à introduire l’émerveillement de la naissance de quelque chose de neuf et de soudain. Car ces trois fois cent-onze petits poèmes réunis en trois sections sont presque autant d’avènements répétés et lancinants. Une éternité du commencement. Comme une sorte de psaume, ou de cantilène enfantine. Par exemple :
À l’échancrure
émail d’un sourire
lait d’une poitrine nue
blanche promesse d’un poème
ou
À l’éveil
tout a disparu
ne reste que
cette aube
incessante et nue
ou
Au bien être
le présent tout frais et vif
dans l’eau claire de la conscience
Il faut considérer ces formes brèves comme des fragments de type héraclitéen, qui confinent à la philosophie et à la morale. Car l’on trouve des allusions à St-Augustin et sa conception du temps, à la littérature zen, au haïku, ou encore au Rimbaud des voyelles, ou à Descartes, non sans humour.
Et puis l’on côtoie la grande question de la dialectique du langage et de la chose, qui déchire l’Occident quand, d’une part, certains se rangent du côté de Platon, et d’autre part se réclament d’Aristote. Et là, avec l’habileté d’un poète, Jacques Goorma écrit : voici une chaise en bois/vois-tu la chaise/ou vois-tu le bois ? Ce qui laisse résonner en soi cette formule du mathématicien et philosophe René Thom : le bord, c’est la forme.
Pour conclure avec l’auteur, je dirai que tout n’est pas tenu à l’analyse très approximative que je viens de faire de ce recueil de J. Goorma, et qu’il demeure des interrogations importantes, parfois graves ou plus légères qui nous permettent d’avancer dans cette lecture, très simple d’accès et cependant riche et travaillée. Oui, la simplicité d’un crépuscule, que l’on ne sait qualifier de matutinal ou du soir, l’expression de recherche du poète sur son poème lui-même (dont des adresses répétées au poème assez fréquentes, Au poème, À la poésie, Au vœu du poème, Au poème parfois, etc…), des considérations sur l’amitié, sur la nature, sur l’amour.
Au printemps
droite et soudaine la pluie
tombe comme un vent liquide
et fait chuinter dans son souffle
la rivière des feuilles
ou encore, à la même page :
Aux gardiens
soir et matin
jumeaux clairvoyants
se font signe de loin
et le ciel s’enivre d’oiseaux
Tout cela pour dire que c’est une poésie presque froide (comme la beauté est parfois froide) et qui nous traverse comme un épieu de glace, qui agit en même temps sur notre intelligence. Donc, un livre à connaître.
Didier Ayres
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