Identification

À, Jacques Goorma

Ecrit par Didier Ayres 14.06.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arfuyen, Poésie

À, mai 2017, 136 pages, 14 €

Ecrivain(s): Jacques Goorma Edition: Arfuyen

À, Jacques Goorma

 

Dès le titre du nouveau recueil de Jacques Goorma, À, considéré ici comme une préposition à l’hommage, à la dédicace ou l’adresse, l’on prend conscience que l’on est devant un ouvrage singulier. D’ailleurs l’ingéniosité des éditeurs Anne et Gérard Pfister peut bel et bien servir à la découverte de textes neufs, originaux, vivifiants. Cela dit, il reste à expliquer en quoi cette nouveauté, ce particularisme est pertinent. L’on peut concevoir assez vite une impression qui s’accentue au fur et à mesure. Et c’est le mot génération qui vient, ou celui de poésie originelle. Ainsi, nous sommes à l’aube, au début, au commencement, à l’origine d’un sentiment, à la génération d’une idée, plongés dans le spasme bref d’un éclat qui cherche une sorte de commencement éternel. De genèse sans fin.

On se trouve avec À devant une préposition/proposition servant à introduire l’émerveillement de la naissance de quelque chose de neuf et de soudain. Car ces trois fois cent-onze petits poèmes réunis en trois sections sont presque autant d’avènements répétés et lancinants. Une éternité du commencement. Comme une sorte de psaume, ou de cantilène enfantine. Par exemple :

À l’échancrure

émail d’un sourire

lait d’une poitrine nue

blanche promesse d’un poème

 

ou

À l’éveil

tout a disparu

ne reste que

cette aube

incessante et nue

ou

Au bien être

le présent tout frais et vif

dans l’eau claire de la conscience

 

Il faut considérer ces formes brèves comme des fragments de type héraclitéen, qui confinent à la philosophie et à la morale. Car l’on trouve des allusions à St-Augustin et sa conception du temps, à la littérature zen, au haïku, ou encore au Rimbaud des voyelles, ou à Descartes, non sans humour.

Et puis l’on côtoie la grande question de la dialectique du langage et de la chose, qui déchire l’Occident quand, d’une part, certains se rangent du côté de Platon, et d’autre part se réclament d’Aristote. Et là, avec l’habileté d’un poète, Jacques Goorma écrit : voici une chaise en bois/vois-tu la chaise/ou vois-tu le bois ? Ce qui laisse résonner en soi cette formule du mathématicien et philosophe René Thom : le bord, c’est la forme.

Pour conclure avec l’auteur, je dirai que tout n’est pas tenu à l’analyse très approximative que je viens de faire de ce recueil de J. Goorma, et qu’il demeure des interrogations importantes, parfois graves ou plus légères qui nous permettent d’avancer dans cette lecture, très simple d’accès et cependant riche et travaillée. Oui, la simplicité d’un crépuscule, que l’on ne sait qualifier de matutinal ou du soir, l’expression de recherche du poète sur son poème lui-même (dont des adresses répétées au poème assez fréquentes, Au poèmeÀ la poésieAu vœu du poèmeAu poème parfois, etc…), des considérations sur l’amitié, sur la nature, sur l’amour.

 

Au printemps

droite et soudaine la pluie

tombe comme un vent liquide

et fait chuinter dans son souffle

la rivière des feuilles

ou encore, à la même page :

 

Aux gardiens

soir et matin

jumeaux clairvoyants

se font signe de loin

et le ciel s’enivre d’oiseaux

Tout cela pour dire que c’est une poésie presque froide (comme la beauté est parfois froide) et qui nous traverse comme un épieu de glace, qui agit en même temps sur notre intelligence. Donc, un livre à connaître.

 

Didier Ayres

 


  • Vu : 2882

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Jacques Goorma

 

Jacques Goorma (né le 2 août 1950 à Bruxelles) est un poète franco-belge.

 

A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

Lire tous les textes et articles de Didier Ayres


Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.