A coups de pelle, Cynan Jones
A coups de pelle (The Dig), 23 mars 2017, trad. anglais (Pays de Galles) Mona de Pracontal, 168 pages, 16,50 €
Ecrivain(s): Cynan Jones Edition: Joelle Losfeld
Cynan Jones sait de quoi il parle quand il écrit car il écrit du cœur même de ses œuvres. Il est paysan au Pays de Galles. Déjà, dans Longue sécheresse, il avait fait de la campagne galloise, âpre et ingrate, le sujet de son roman. Ici encore, ce court roman est un choc littéraire et humain. C’est un chant rude et poignant sur la perte et la solitude. Jamais la campagne galloise ne fut aussi sombre. Le style dépouillé, minimaliste, de Cynan Jones, construit une tragédie rurale glaçante.
Daniel est fermier. Il est le seul personnage à porter un nom dans le roman, pour mieux souligner son absolue solitude. Les autres, le grand gars, le policier, la mère, ne sont que des ombres rencontrées au hasard. Daniel vient de perdre sa femme, l’être de sa vie. Elle est morte sous le sabot d’un cheval qu’elle soignait. Depuis, il n’est que dévastation intérieure, terreur, souvenirs écrasants. Sa vie, à peine sa survie, ne tient qu’aux obligations de la ferme, les bêtes à nourrir, les naissances d’agneaux. Il ne laisse plus à personne le soin d’accompagner le travail des brebis. Il y trouve la vie à sa source, dans le ventre même des mères.
« Il couche la brebis sur son flanc et étale sur sa main le gel, d’une chirurgicalité rose vif étrangère par sa fabrication industrielle à ce processus naturel. Il y a une géographie qu’il comprend, familière et mammifère, comme si quelque chose de lointain guidait sa main autour de l’agneau à l’intérieur d’elle, comprenait la construction du bébé, la chose qu’il fait, qui pourrait être répugnante et qui lui est pourtant aisée, la chaleur, la poche tiède et huileuse. Il n’y a de honte que visuellement. Les liquides et les efforts maternels sont au-delà de ça, trop anciens pour la honte, et il comprend qu’une grande force vitale est à l’œuvre […] ».
Le grand gars est un rustre, violent, brutal, qui court bois et campagne pour éliminer, chez ceux qui le lui demandent, les rats, les renards. Ce n’est pas seulement un métier pour lui, c’est une passion perverse, une façon terrifiante d’exprimer sa violence. Mais il ne se contente pas des nuisibles. Ses proies préférées, ce sont les blaireaux. On les lui commande pour organiser des combats chiens/blaireaux, prisés par des hommes éperdus de spectacles sanglants.
« Les pinces avaient été forgées tout spécialement pour cet usage, et elles extirpèrent le blaireau de la fosse et le tinrent suspendu. Pendant que les paris se prenaient, ils lui arrachèrent les griffes des pattes avant. Ensuite ils lui tinrent la tête, lui ouvrirent la gueule avec une pince monseigneur et lui défoncèrent les dents de devant. Le blaireau était ensanglanté et se débattait et résistait de toute la force de ses vingt kilos mais les hommes le plaquaient au sol à trois ou quatre tout le temps qu’ils faisaient ça, et ensuite ils le remirent dans la fosse ».
Le titre original (The Dig) et le titre français évoquent la terre que l’on creuse avec des pelles. Comme celles des fossoyeurs qui ont enterré la femme de Daniel, comme celles des braconniers qui creusent les terriers à blaireaux, comme celles des paysans qui attendent tout du ventre de la terre. Quelque chose relie tous ces gens solitaires dans la rude campagne galloise. La terre et la pelle, sources de vie pour ces paysans. Sources de mort, pour peu qu’on en décide.
L’immense puissance de ce court récit est nourrie de ces deux bouts de l’Arc de vie : la vie, la mort, syntagmes de la terrible condition humaine, comme dans un conte mythologique.
Dans une écriture d’une simplicité lumineuse – parfaitement restituée par une traduction précise – Cynan Jones nous offre un superbe moment de littérature et de frissons.
Léon-Marc Levy
VL3
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