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À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 14.06.21 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt, éditions Æthalidès, mai 2021, 96 pages, 16 €

À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt (par Didier Ayres)

Tentative

Quel plaisir de lire le nouveau travail de Guillaume Decourt où j’ai reconnu différentes tendances littéraires qui me sont familières ou que j’ai moi-même pratiquées. Le résumé est simple – mais toute la difficulté c’est justement de rendre le poème simple et non affecté par des poses : une tentative d’englober. Ce faisant, aller d’une forme vers une réalité augmentée – à l’instar de Cendrars célébrant ses Pâques à New-York. Ici, la réalité qui filtre, c’est le monde anglosaxon. L’auteur côtoie des lieux, des personnes, des littératures multiples et citées comme pour insuffler de la vie, un mouvement intéressant au sein du poème.

Le principe ici est rigoureux : 44 poèmes de 4 quatrains chacun (ce qui m’a rappelé le titre du film d’Abel Ferrara, 4h44, temps d’apocalypse, mêlant la peinture et d’anciens démons d’addictif). Ce protocole compris, Guillaume Decourt mêle à sa pâte linguistique des éléments hétérogènes, hétéroclites en un sens. Cette approche ressemble un peu au travail des Cantos de Pound, lequel par exemple fait intervenir des idéogrammes chinois sans traductions ou des coupures de journaux. Le tout pour en faire de la littérature.

Le révérend Gordon B. Armstrong

me regarde avec concupiscence

et prononce à plusieurs reprises

le mot vitrail avec l’accent écossais […]

 

Aujourd’hui cette démarche pourrait se traduire grâce au concept de Glissant sur la créolisation des langues. Ici, c’est à la créolisation des réalités qu’il faudrait faire appel. Agglomération, agrégation de thèmes, de lieux géographiques, de noms à consonnance anglo-saxonne. Dès lors, le cadre éclate, et la réalité se troue, se défait, car le lecteur suit les voyages du poète et se sent décontenancé par l’abondance de signes allothigènes, inhomogènes, phénomènes grumeleux, où la porcelaine du langage est sujette à de petites altérations, de légères granulations sur la surface, formant un objet un peu étrange. Poussant donc le lecteur dans un certain inconfort.

Quoi que cela représente pour l’écrivain, il faut lire ces poèmes pour voir une sorte de vie vive si je puis dire, un travail de jaillissement qui semble incontrôlé, voire incontrôlable. On suit presque essoufflé cette prosodie singulière. Donc, livre à retenir.

 

Ms Power n’apprécie pas

les vêtements de ma femme

elle dit : « Jamais je ne porterai

les vêtements de votre femme

Il me serait impossible de porter

les vêtements de votre femme

pour rien au monde je ne porterai

les vêtements de votre femme »

Ms Power possède l’accent distingué

de certaines gens de la Nouvelle-Angleterre

mais répète toujours tout trois fois

à la manière de sa grand-mère yiddish

Son basset hound a pour nom Robert-Mitchum

je lui gratte l’oreille par politesse

et tente de changer de sujet

tandis qu’il remue de la queue

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.