52. dimanche (XLIX)
le ravissement
parce que l’instant d’écrire est une espèce d’apogée, de point haut qui surplombe la réalité, la chose dite
c’est dans cet esprit que je parle d’un ravissement, d’une dépossession de soi par une activité sans corps, dématérialisée, inerte en un sens
déprendre, se défaire, se décaler soudain dans la masse forte et vivante du réel, pour saisir, étreindre, ôter, couper aussi en quelque sorte, revivre
produire du langage
c’est une sorte d’opération d’alchimie, une sidération, comme est étrange dans le meilleur des cas de faire sortir une langue de cristal du milieu du tourbillonnement instable du réel
c’est donc une forme violente qui accompagne l’écrire
une lutte
quelque chose qui départage le réel en deux, qui s’appuie sur le caractère sécable de la langue pour reproduire la réalité à elle-même
on pourrait parler d’ivresse, non tant pour le bonheur de la vapeur alcoolique, mais pour la manière de perte de soi, de dépersonnalisation, qui s’effectue pour accueillir le langage
il faut donc faire place
il faut ensemble rendre, agir dans le moment insécable du visible, pour faire naître une image
par exemple : cette froide journée de décembre tout au cœur, au milieu de la page, l’activité plastique des blancs du ciel et des gris, des gorges de la ruelle où vient heurter une tourterelle, là, au passage du réseau électrique – comme on en connaît dans les films d’Ozu –, une petite tourterelle qui cherche une maison, comme est, en vérité, notre destin personnel, pris dans la glace du temps
ce n’est qu’une expérience
Didier Ayres
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