33 poèmes en forme de nouvelles (ou l’inverse), Jean-Louis Rambour (par Murielle Compère-Demarcy)
33 poèmes en forme de nouvelles (ou l’inverse), Jean-Louis Rambour, Éditions Les Lieux-Dits, Coll. Cahiers du Loup bleu, 2019, 39 pages, 7 €
Deux évidences s’imposent pour qui revient toujours à l’œuvre de Jean-Louis Rambour (car il s’agit bien d’une « œuvre ») : quelque chose du fleuve coule dans cette poésie comme dans celle de Jacques Darras, mais différemment. Sans doute, déjà, parce que le fleuve y coule sans arrêt dans sa fluidité et force dynamique, dans une transformation de lui-même ajoutée à celles qu’il provoque, porte, emporte. L’écriture protéiforme de Rambour atteste ce dynamisme des fluides à l’œuvre, qui roule dans le lit du Langage pour y déposer des alluvions typiques du cours de son fleuve, qui emporte dans son débit le charroi de nos émotions et interprétations. L’infini où chaque texte ou livre du poète se jette nous fait à chaque fois les navigateurs livrés aux métamorphoses de ses eaux poétiques. Nous n’embarquons pas sur le fleuve de la poésie de Jean-Louis Rambour, c’est bien son cours/son flux sans cesse renouvelé qui nous prend dans son voyage. Deuxième évidence marquant l’œuvre du poète : sa poésie révèle la profondeur de la vie dans son miroir, là où les reflets disent au-delà des sens qu’ils émettent. Le premier texte des 33 poèmes en forme de nouvelles (ou l’inverse) publiés dans les Cahiers du Loup bleu aux éditions Lieux-Dits nous ramène d’entrée à cette évidence :
« La vérité est dans le miroir du bar. C’est le reflet
qui est vérité. Le reste, illusion. C’est le miroir
qui émet les sons des violons et de l’accordéon :
le reste n’est que silence aussi sensible que celui
des nuages glissant au ciel, aussi muet que le baiser
de l’eau autour de la barque d’un passeur. (…)
La vie s’est réfugiée dans la face étamée de la glace.
Jusque-là on ignorait où était son asile ; on pensait
même qu’il était du côté de l’alcool et du désir »
À propos de la vérité des reflets du miroir, n’avons-nous pas tous un jour connu l’expérience d’être rattrapé au passage par un miroir qui nous renvoie une vérité de nous-mêmes que nous n’avions pas imaginée ? La poésie nous laisse imaginer la vérité de tels reflets, justement, dans la pesée tamisée de ses mots. Le titre, nous indiquant que les poèmes qui le composent peuvent être – suivant les sensibilités – qualifiés de nouvelles, ou constituer 33 nouvelles en forme de poèmes, ne nous ramène-t-il pas aussi à la matière substantielle, vitale, de textes ici qui écrivent la vie, nos vies ? Les reflets du miroir, ce sont pareillement les aléas de nos existences, ces détails et ces instantanés surligneurs de nos faits et états objectifs et émotionnels ? À ce sujet l’intégration dans l’œuvre du poète de créations picturales, photographiques, reportages – par le poète lui-même ou en coopération avec un artiste – renvoie à cet effet de miroir du travail poétique de Jean-Louis Rambour qui poursuit le chemin de l’écriture comme la vie nous porte et nous transforme au fil du temps qu’elle nous accorde pour la regarder, l’observer, la comprendre en sa mosaïque étonnement/profondément vivante.
Jean-Louis Rambour ne manque pas dans cet opus d’arrêter son regard sur ces hommes si terriblement vivants : SDF, marginaux, exclus, exilés, … mendiants – de ceux qui par leur fragilité projette sur nous la force de frappe de la vie, de ses brèches, ses puits d’amour :
« un mendiant – certains disent SDF, S comme Solitaire –
un mendiant donc, donne son sourire, son “Bonjour”,
avec une légère difficulté à bouger des lèvres
percluses de froid, de gêne, de peur (…) »
N’est-ce pas encore notre propre miroir que tendent ces hommes sur notre route quotidienne, miroir brandi pour nous rappeler que la détresse existe bien aussi malgré nos yeux parfois fermés ? Une réalité palpable apparaît et renvoie notre pusillanimité dans ces miroirs grimaçants que dresse la vie sur nos chemins, le poète en écrit les tremblements, les effondrements, les appels.
« (…) Il est assis devant le portail
d’entrée de l’église Sainte-Croix de Caix, juste à côté
d’un Christ aux liens qui le nargue, un type déshabillé,
dont la souffrance assurera la postérité, quand lui,
le mendiant, disparaîtra des comptes malgré
son doux regard de hérisson pris dans la lumière »
N’est-ce pas le rôle du poète, aussi, de narguer nos petites lâchetés quotidiennes et de nous tirer par la manche avec la discrète altercation de ses mots entre les lignes, pour nous dire : Eh, regarde, regardez un peu ce qui passe, ce qui se passe, c’est ici, c’est aujourd’hui, cela se trame dans ce monde et cela existe, aussi, à côté du soleil, à côté de vos abondances ou suffisances…
Le soleil, lui, n’est pas laissé de côté dans ces 33 textes, puisqu’il fait partie de la danse du monde ; éclaire de son sourire – heureux souvenir ou espoir sauvegardé – n’importe quel tronçon de nos frises historiques singulières, ainsi cet enfant que nous avons tous été, en quête d’une étincelle de vie dans la flamme d’une bougie :
« rien ne peut le distraire de la beauté du feu, du jaune
incendie, rien, son regard se concentre sur la perle chaude,
sur un volume qui résume le monde entier des choses.
À ce moment-là, il est seul, en contact des mystères,
avec des odeurs de cosmos, lui non plus ne mourra pas
comme ne peut s’éteindre le feu depuis le tout premier orage ».
… comme ne peut s’éteindre la poésie de J.-L. Rambour, depuis la dernière toujours première page.
Murielle Compère-Demarcy
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