20+1 Short Stories, Nouvelles, Collectif
Ecrit par Didier Smal 01.07.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Nouvelles, USA
20+1 Short Stories, Nouvelles, Collectif, mai 2016, traduit par douze excellents traducteurs, 656 pages, 14 €
Edition: Albin Michel
La nouvelle, c’est le genre abordé à l’école par le biais de Maupassant, Courteline, Balzac ou Zola – comme si la nouvelle était francophone et datait du dix-neuvième siècle. Parfois, l’un ou l’autre professeur va voir du côté de Romain Gary ou de Joseph Kessel, se risque à faire lire une petite anthologie policière, s’aventure à frotter ses élèves à Kafka – mais tout cela donne de la nouvelle l’impression d’un genre mort, et européen dans son essence. Tout amateur de littérature le sait, rien n’est plus faux : si la nouvelle, en tant que genre publié, a bel et bien périclité en France, faute entre autres de lieux de publication autres que réservés à des connaisseurs (elle est loin l’époque où Maupassant s’affichait en première page du Gaulois), elle connaît encore de belles heures dans le domaine anglo-saxon, en particulier aux Etats-Unis. La présente anthologie, éditée pour célébrer le vingtième anniversaire de la collection Terres d’Amérique chez Albin Michel, démontre la bonne santé de la nouvelle nord-américaine en vingt et un exemples extraits du catalogue de ladite collection.
On pourrait détailler la puissance narrative de chacune d’entre elles, étudier les filiations évidentes avec Raymond Carver entre autres, regrouper les auteurs par thématique ou par style – tout cela serait vain. Le mieux est de se laisser porter par le choix éditorial effectué : les vingt et un auteurs sont classés dans l’ordre alphabétique, et le lecteur peut de la sorte naviguer d’une style à l’autre, d’une plume à l’autre, et avoir envie, souvent, de se laisser convaincre par l’auteur au point de vouloir lire le recueil complet dont est extraite la nouvelle juste lue. Car il faut le préciser : dans cette anthologie, à un texte près (Montée des Eaux de Callan Wink), aucun inédit ; ce que Albin Michel propose, c’est une visite de sa collection dédiée aux littératures nord-américaines, et libre au lecteur d’aller plus loin. D’un autre côté, on peut aussi dès lors considérer cette anthologie comme un aperçu plus que probant de la littérature nord-américaine traduite en français ces vingt dernières années – un résumé pour lecteurs pressés ou juste désireux de se frotter aux écrivains portant bannière étoilée, juste pour savoir « ce qui se fait », option tout à fait honorable.
Et « ce qui se fait », comme déjà sous-entendu, c’est, même si c’est caricatural, une forme de continuation de l’œuvre de Carver, ces aperçus d’existence somme toute banales arrivant à une bifurcation, un choix à effectuer ou non, avec ce que cela comporte d’intimité et, pourtant, d’universalité, quand bien même le destin raconté est unique – ainsi de celui de Nector Kashpaw, le « chef indien » de la nouvelle Le Plongeon du Guerrier Indien (Louise Erdrich), tiraillé entre deux amours, et ses responsabilités, dans l’Amérique des années cinquante. Cette nouvelle est d’ailleurs quasi la seule du recueil à traiter d’un sujet quelque peu éloigné dans le temps. Ce serait une autre caractéristique de la nouvelle américaine contemporaine : elle a à cœur de montrer son époque, d’en donner un aperçu au travers de destins individuels. C’est la séparation due à la guerre (Les Meilleurs sont déjà pris, nouvelle un rien fantastique de Ben Fountain, auteur du remarquable roman Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn), c’est la vie d’une ville de garnison (Sous la bannière étoilée de Benjamin Percy), c’est le passé familial à gérer (L’Homme-lézard de David James Poissant) ou c’est la façon dont l’Amérique s’occupe de ces « personnes à besoins spécifiques » (Les Enfants de Dieu d’Erich Puchner). Chaque nouvelle, dans cette anthologie, ressemble à une facette d’un sombre diamant ayant pour nom l’Amérique des vaincus, de ceux pour qui le rêve lui-même n’a plus aucune signification (Rebut de Michael Christie). Ce rêve est d’ailleurs mis en pièce dès ses origines par la curieuse nouvelleSouvenirs d’enfance sur la conquête de l’Ouest, de Karen Russell, qui revisite le départ des pionniers, au milieu du dix-neuvième siècle, à la façon d’une mythologie décatie.
Cette nouvelle permet de souligner une autre caractéristique des vingt et une ici réunies : la ville, la mégalopole, y est peu présente. A croire que dans l’imaginaire des auteurs contemporains de nouvelles américains, le contact avec la nature mérite plus d’être raconté, mis en évidence, que les interactions entre habitants de grandes villes – peut-être la déshumanisation de ces lieux empêcherait-elle le désir narratif ? Il est vrai que la seule nouvelle se déroulant vraiment dans une grande ville, où celle-ci joue un rôle (ce qui exclut donc Un Goût de rouille et d’os de Craig Davidson, où New York n’est qu’un décor interchangeable), Rebut, montre avant tout l’indifférence, l’absence de toute empathie. Quant aux autres nouvelles, elles montrent le plus souvent l’existence au contact d’une nature obligeant à la vérité (La Femme du Chasseur d’Anthony Doerr) ou dans des petites villes anonymes ou presque, obligeant elles aussi à la vérité, dirait-on, dans ce parcours qui va de la Floride à l’Alaska (Ce que savent les saumons, Elwood Reid).
Pour évoquer ces vingt et une nouvelles, dans la présente critique, il n’a pas été fait usage d’un quelconque adjectif laudatif ; c’est volontaire : aucune ne sort du lot, car toutes sont exceptionnelles dans leur genre. Toutes démontrent un art consommé de la brièveté comme choix narratif, une façon d’aller à l’essentiel, qui ne peut qu’être célébré. De là à choisir entre Brady Udall (Il se soûle profondément et fameusement) ou Callan Wink (Montée des eaux, le seul inédit du lot, extrait d’un recueil à paraître en français début 2017), la question ne se pose pas – mais libre à chaque lecteur d’élire un auteur, sur la foi de la nouvelle ici présentée, et d’explorer son œuvre. Cette exploration est facilitée par une Présentation des auteurs en fin de volume, accompagnée, c’est à souligner, d’une Présentation des traducteurs, ces précieux passeurs sans lesquels le lecteur francophone n’aurait qu’un accès limite, voire pas d’accès du tout, à cette Amérique littéraire passionnante dont ces 20+1 Short Stories, Nouvelles donnent un aperçu plus qu’alléchant.
Didier Smal
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A propos du rédacteur
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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.