2 livres poétiques (par Philippe Leuckx)
Vers cela qui n’est pas, Michel Bourçon, éditions La Crypte, 2019, 60 pages, 12 €
Ce trente-neuvième livre de poésie de l’auteur creuse encore un peu plus les marques d’un domaine que sa pensée et son écriture circonscrivent ; ce territoire de la marche, du pas intérieur, des éclaircissements sur lui-même.
Pourquoi, au fond, marcher dans ses pas, retendre, au fil des mots, les plis et replis du terrain ?
Bourçon, en de brefs poèmes, dont parfois les parties s’aèrent sur la page, poursuit sa voie : dire le peu avec le peu, l’« imprononçable » que la quête attise ou vise.
« en marge de soi » (p.28) pourrait ordonner l’ensemble des fragments qui situent cette errance porteuse de sens.
on va
en deçà
de soi
pour répondre
à ce qui veut nous lier (…)
(p.22)
Passe dans ces vers la ferveur pour le pays côtier, la Manche, qui sait ? Barfleur que d’autres textes tutoient ; passe aussi cette subtile mélancolie, comme si on pouvait « se voir condamné/ à la peine de vivre » (p.38).
Le poète ne peut écrire que si sa marche dévoile dans le présent nombre de pépites du « regard de celui qui voit » (p.34) ; la langue est un chemin qui mène vers ce qu’il n’est pas toujours aisé de surprendre.
La fécondité du chemin (on retrouve là la complice présence d’un Lacarrière, arpentant Grèce et beautés ou celle d’un Pierre Sansot, anthropologue des sentiers) pousse le poète « dans le mouvement/ de nos pas » pour voir, repérer, écrire, certes.
Suffit-il de se « perdre » dans les mots ? Dans le ciel ? Bourçon poursuit sa quête, son questionnement d’air et d’être. On sait que ses vers d’« errance » indiquent le sens, un signe, une traversée, un point d’appui, « le monde endormi/ qu’il porte en son sein ».
Philippe Leuckx
Michel Bourçon, poète, vit à Nevers. Il a notamment publié : Les rues pluvieuses n’iront pas au ciel ; Jean Rustin, la vie échouée ; Ce peu de soi ; Source des mots ; Tout contre rien.
L'indien au-delà des miroirs, Simone Molina
Editions La Tête à l’Envers, janvier 2020, 58 pages, ill. Marcel Chetrit, 14 €
On est toujours l’égaré d’un être stable, le marcheur d’un sédentaire, l’Indien d’un nanti. On est le SDF des établis. Ou encore le rêveur impénitent d’un fataliste moderne.
Les poèmes de Molina s’inscrivent comme une vision rebelle d’un monde où les valeurs d’échange vrai, de respect, de reconnaissance volent en éclats, au profit du profit. Il faut « survivre », « connaître la (vraie) route », fuir « les ténèbres » imposées, « écouter les bruits du jour », accepter en soi « le mystère plus vaste que l’effroi ».
La poésie comme exutoire des précipices, certes.
La poésie comme reconnaissance des « chemins » à « graver ». Je ne sais si Molina a lu les travaux de l’anthropologue et universitaire Pierre Sansot, spécialiste des sentes et chemins ; en tout cas, elle a pour ces derniers une ferveur de squaw.
La poésie offre à « l’inconnu » matière des partages. Et c’est le droit et le mot de la fin de ce beau recueil (p.49).
Apprécions :
« il rejoint la cohorte à la marge des jours » (p.15)
« il contemple d’un regard triste/ la ville endormie » (p.19)
« écoute/ le chemin du partage est fragile » (p.41)
« cueillir le poème au bord/ de l’image » (p.46)
Philippe Leuckx
Simone Molina est l’auteur d’ouvrages d’artistes et de psychanalyse.
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