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16 mars 2017. Mon cher Antonin, par Hans Limon

Ecrit par Hans Limon 27.04.17 dans La Une CED, Ecriture

16 mars 2017. Mon cher Antonin, par Hans Limon

 

je m’ouvre à Toi comme on s’adresse à Dieu : en espérant sans trop y croire. Et si jamais ces confidences te parviennent, je ne sais où, je ne sais quand, je ne sais comment, quelque nulle part aux limites égarées des limbes solitaires, probablement par hasard, sans doute les recevras-tu comme Dieu recueille les prières désespérées : en déplorant sans trop pouvoir. Chaud de bénédiction navrée. Je ne te connais que par le Verbe et l’Image, certes, mais je te tutoie. La douleur a de ces familiarités parfois brutales, souvent bienveillantes. Nous sommes quasiment cousins, toi et moi, cousins germains comme le furent tes parents, cousins fêlés d’où point l’âpre lumière du monde en bruine d’étoiles farceuses. Vois-tu, voyant trop allumeur cinglé des vents d’antan, il n’y a que toi qui puisses faire justice à mes turpitudes. Qui puisses les encaisser. Car tu as de la caisse, malgré tes cinquante unités flétries.

Depuis tout petit, méprisable atome de germe de pourriture humaine, depuis tout-pâle-avorté-jeté-à-l’être-en-pâture, je me sens et me sais double, en déproportion surcroissante, sombre et double à démesure d’éclatements idéologiques et identitaires, anarchiste au possible arraché, la caboche au défibrillateur, le corps amodelé tantôt ténu tantôt titanesque et j’ai sous les synapses de quoi faire péter toute une société vautrée dans la fange de ses privilèges. Tu vis et vécus double ou triple ou sans nombre au réel comme au théâtre, pour de faux pour œuvrer pour transpirer ton absinthe absorbée, ton laudanum saturé, ton chloral maladroitement dosé, pour attiser la peste et scruter la pièce, mon éternel envoûté, pour enfoncer la métaphysique sous les bourgeons épidermiques, désordonner les esprits trop sûrs trop sourds, donner corps aux idées, pondre un esprit sans corps, glorieux fruit sans organes, tout rayonnant d’électrochocs évaporés, d’arabesques-idéogrammes balinaises, un corps sans contour, pour tout dire sans jamais rien définir. Ta Germaine étranglée. Mon Olivier rompu. Ta noyade échouée. Mon coma réveillé. Frère au loin révélé.

 

Tu avais faim, toi aussi, insatiablement faim de bruits d’apparitions de formes pleines et tronquées de guerre de froid de paix de rien. Du Tout. Tandis que ta mâchoire broyait frénétiquement le grain du songe amer, la maladie prenait lentement possession de tes fondements, marronnasse apocalypse, pour en finir avec le jugement de dieu, majuscule acculée, crépuscule désorganisé aussi surréaliste et vrai que le clapotis des vases communicants.

 

Tu fus du feu de ceux qui pèsent les nerfs et les maux, qui ne paraissent que lorsqu’il y a matière à dire et à brûler. Hélas, il y a toujours matière. Gueule de Rimbaud syphilitique, bille de Baudelaire outragé, crudité vangoghesque un poil trop nue, rôdeur à la merci des murs de Rodez, tu déterras la troupe des instincts couronnés, depuis le meurtre en sourdine jusqu’à l’empire des profanations, noir soleil désincarnant.

 

Faible rameau tombé du feu Caracalla,

le nez rond de foi lasse au pieux mont qu’emballa

d’ambition forcenée l’ogre Julia Soaemias,

Heliogabale étend la procession coriace

 

le vent gifle sa tempe et baise à flots fendus

le monolithe noir sur son char étendu

près du temple aviné où s’ébat l’exolète

immolé sur l’autel de la verge replète

froid de vice encensé, son teint froissé d’hiver

ouvre la voix posthume à la foule sévère

et par avance assoit le massacre dernier

 

qu’on jouisse à son chevet ou qu’on dorme à sa guise,

toujours son appétit pittoresque s’aiguise

et se satisferait dans la boue des charniers.

 

Il te fallait brandir la souffrance d’exister loin des planches bavardes, par le geste lumineux-muet qui n’en dit jamais moins qu’il ne faut, toujours plus qu’il ne peut. Comète opiacée, fulgurance narcotique de A jusqu’à A, figuratives initiales riant ton archétype anonyme, je me respire à l’angle de tes gibets d’impotence, marginal démembré, terrible enfant tout crayonné de croquis scalpés d’où s’élanceront pour toujours les épis de mes jours déjà chers. Je te suis. Jusqu’à ta virginité volée, tes facultés engourdies, je marche à ta suite sur le fil invisible et torse du déséquilibre aspirant, jusqu’à m’habiller d’un autre moi-même, jusqu’à la fenêtre opaque de Sydenham, tout près du bûcher de Jeanne d’Arc. J’inspire sur ta langue enfourchée la substance qui surélève l’esprit, sans quoi je ne vis plus, je ne veux plus, je ne peux plus, j’épouse ta cruauté blessée, ta mégalomanie, tes persécutions supputées (à qui s’adressent les sourires dans mon dos ? De quoi peut-on rire ici-bas ? Je ne vois que moi pour exciter la foule !), je prise ta logorrhée toxicomane dénonçant l’onanisme sacrilège des pères jésuites, je prends ton corps à-bras-le-mien jusqu’au recto versé. Mais je ne veux pas m’étioler sur ce blanc sol tout conchié d’âmes évanescentes, au pied du lit des peines, recroquevillé comme un nombril ceinturé. Qui me retient ? Antonin, qui me revient ? Le chef de service est en consultation, Lucie fait risette aux fins de vie chenues, Jeanne émigre aux oubliettes, Justine a trouvé sa clef des champs, ma joie s’attarde aux cabinets, la panse bombée de laxatifs sans sucre. Le mal me fait face, me tient tête. Le mal indéchiffrable. Fidélité sadique. Le creux m’attire, me coupe, me scinde. L’air du milieu, ce vide que tu n’as pu combler qu’en t’étouffant, frère auprès. Ne m’en veux pas, fou sacré, ne m’en veux pas si je pars tôt. Pose ta croix sur ce papier jauni du pus des plaies sardoniques.

 

Je ne puis t’assurer de mon respect, mais seulement de ma compatissante admiration. Ton ombre double. Je fugue.

 

P.-S. Sais-tu qu’on a dépouillé ta chambre avec ton corps ?

 

Hans Limon

 


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A propos du rédacteur

Hans Limon

 

Professeur de philosophie et de théâtre. Ecrivain et poète.