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Pays nordiques

Kallocaïne, Karin Boye (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 14 Janvier 2025. , dans Pays nordiques, Les Livres, Critiques, Science-fiction, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Kallocaïne, Karin Boye, Folio, juin 2024, trad. suédois, Leo Dhayer, 288 pages, 9,40 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Publié en Suède en 1940, Kallocaïne a aussitôt été traduit en anglais et a pu ainsi influencer fortement George Orwell pour son propre 1984, même si on se doute que Boye a elle-même été influencée par Le Meilleur des mondes de Huxley. On peut donc de bon droit considérer ce roman comme l’un des chefs-d’œuvre de la dystopie, genre qui surgit à l’époque où les totalitarismes naissaient et s’enracinaient en Europe, et qui connaît toujours un grand succès aujourd’hui.

La société que décrit Boye est basée entièrement sur la surveillance de tous par tous (dans cet ordre d’idée, chaque foyer se voit imposer une « assistante domestique » choisie par l’État), avec une subdivision et un cloisonnement des forces productives (le narrateur, Leo Kall, habite ainsi la « Ville de Chimie n°4 »), et une obligation pour chaque citoyen de prendre part à des exercices militaires au moins quelques soirs par semaine. Les enfants sont des inconnus, l’on se marie sans affection, l’on vit dans des appartements minuscules où les pièces sont modulables, l’on mange des plats peu nourrissants, l’on doit se soumettre à l’auto-critique – bref, l’on vit dans un État totalitaire où le bien-être individuel doit passer après « la sécurité de tous, la sécurité de l’État ».

Les Ecrits, Journaux et lettres (1941-1943), Etty Hillesum (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 11 Décembre 2024. , dans Pays nordiques, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Seuil

Les Ecrits, Journaux et lettres (1941-1943), Etty Hillesum, Seuil, 2008, trad. néerlandais Philippe Noble, Isabelle Rosselin, 1088 pages, 37 €

 

Etty Hillesum grandit plus vite que son ombre. Sa pleine humanité mûrit en deux ans (1941-1943), et de manière d’autant plus surprenante et émouvante qu’elle croît – en responsabilité, en justesse – déjà à peu près (historico-politiquement) condamnée, certaine de finir vite et lamentablement sa vie, comme Juive traquée de la Hollande vaincue. Bref : elle se sait grandir (d’esprit et de destin – puisque l’adolescence est terminée) pour autre chose que sa propre vie adulte (dont elle n’aura à peu près, comprend-elle, aucune chance de jouir). Son immense effort n’avait donc, consciemment, pas elle-même pour but. Une jeune femme de 27 ans, très sensuelle et infiniment vive, s’avouant – dès les premières lignes de son Journal – « je ne suis en tout cas pas mon but », cela étonne et promet.

Notre plage nocturne, Stig Dagerman (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mardi, 26 Novembre 2024. , dans Pays nordiques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Nouvelles, Editions Maurice Nadeau

Notre plage nocturne, Stig Dagerman, Éditions Maurice Nadeau Poche, juin 2024, trad. suédois, Carl Gustaf Bjurström, Lucie Albertini, 205 pages, 10,90 € Edition: Editions Maurice Nadeau

 

Après le livre de nouvelles Les Wagons rouges (1) réédité en format poche en 2022 par les Éditions Maurice Nadeau, c’est au tour d’un second recueil de nouvelles, Notre plage nocturne, d’être disponible dans ce format, dans une réédition revue et corrigée par Patryck Froissart et Laure de Lestrange.

Les œuvres de Stig Dagerman, romans, pièces de théâtre et nouvelles, plongent dans les réalités douloureuses de l’existence et décortiquent les sentiments de peur, de culpabilité et de solitude. Ses écrits s’inscrivent ainsi dans un mouvement littéraire suédois des années 40, en anglais, le fortiesism, marqué par un pessimisme certain et centré sur des questions existentielles.

Si dans Les Wagons rouges le fantastique tient une place importante dans ses nouvelles, il tend à s’estomper dans Notre plage nocturne pour se concentrer sur les destins d’hommes et de femmes qui ne sont ni des héros ni même des anti-héros. Simplement des humains, d’une humanité qui confine au banal ; souvent des perdants, qui vivent dans une forme d’illusion sur eux-mêmes et sur leur entourage, des solitaires par choix, par obligation, voire par nature.

Démolition, Anna Enquist (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Lundi, 17 Juin 2024. , dans Pays nordiques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

Démolition, Anna Enquist, Actes Sud, janvier 2024, trad. néerlandais (Pays-Bas), Emmanuelle Tardif, 320 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Anna Enquist Edition: Actes Sud

 

Comme des variations musicales

La musique et la littérature entretiennent des liens souvent étroits, des formes de correspondances ou d’étonnants cheminements parallèles. Du côté littéraire, un auteur peut poursuivre une musique des mots ou construire son récit comme une symphonie ; et du côté musical, une partition peut être narrative ou chargée d’éléments littéraires. Les exemples ne manquent pas de ces échos que ces deux arts font résonner. Pour en rester aux grands classiques, Stendhal, Gide, Alejo Carpentier dans le somptueux Concert Baroque, et Wagner, Berlioz, Satie, ont regardé, chacun à leur façon, de l’autre côté de la barrière qui enclot leur domaine de création. On pense immanquablement à toute cette tradition en lisant Démolition d’Anna Enquist, dont la musique parcourt nombre de ses romans. L’éditeur nous présente la romancière comme l’une des plus grandes auteures d’aujourd’hui aux Pays-Bas, mais, avouons-le, la déception est aussi au rendez-vous dans ce récit. Mais, après tout, n’est-ce pas au lecteur d’imaginer ce qu’aurait pu être un roman ?

Mademoiselle Julie, August Strindberg (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 19 Mars 2024. , dans Pays nordiques, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Théâtre

Mademoiselle Julie, August Strindberg, édition Ulf Hallberg, Coll. Folio/Théâtre, octobre 2023, trad. suédois, inédite, Alain Gnaedig, 240 pages, 8,90 €

 

« Dans ce drame, je n’ai pas essayé de faire quelque chose de nouveau – cela est impossible. J’ai seulement tenté de moderniser la forme selon les exigences que, à mon sens, les hommes de notre temps posent à l’art du théâtre ».

Ainsi s’exprime August Strindberg dans la Préface à Mademoiselle Julie, rédigée peu après la pièce et publiée dans le même volume en 1889. « Moderniser la forme », c’est être au diapason, dans cette ville de Copenhague où réside Strindberg et qui est alors surnommée la « Paris du Nord », avec ce que les auteurs français créent en ces années 1880, dans leurs romans ou sur scène, les exemples à suivre étant les Goncourt et Zola – avec lequel l’auteur suédois correspondra.