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Les Livres

Potemkine ou le troisième coeur, Iouri Bouïda

Ecrit par Yann Suty , le Mercredi, 25 Janvier 2012. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Roman, Gallimard

Potemkine ou le troisième cœur. Traduit du russe par Sophie Benech, janvier 2012, 162 p. 17,50 € . Ecrivain(s): Iouri Bouïda Edition: Gallimard

Quand un film change une vie.

Paris, 1926. En prenant son ticket de cinéma pour aller voir l’une des toutes premières séances du Cuirassé Potemkine, de Sergueï Eisenstein, Fiodor Ivanovitch Zavalichine, dit Théo, n’imaginait pas que « soixante quinze minutes après le début de la séance, sa vie allait connaître un changement irréversible. »

En tant que militaire, il avait participé à la répression de 1905 et « c’est seulement alors, en découvrant sur l’écran sur qui il avait tiré bien des années auparavant, que cet homme dit avoir compris l’horreur du crime auquel il avait participé sans s’en rendre compte ».

Il se rend à la police en se déclarant coupable d’avoir commis un crime épouvantable.

« Un hasard m’a ouvert les yeux et j’ai compris que j’étais un criminel. J’ai commis un crime, il y a vingt et un ans, et je viens seulement de l’apprendre… A l’époque, je croyais juste exécuter un ordre. Je croyais tirer sur des insurgés, et voilà que maintenant, j’ai découvert que ce n’étaient pas des insurgés, mais des femmes et des enfants. »

L'homme à la carrure d'ours, Franck Pavloff

Ecrit par Yann Suty , le Mardi, 24 Janvier 2012. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Albin Michel

L'homme à la carrure d'ours. Janvier 2012. 208 p. 15 € . Ecrivain(s): Franck Pavloff Edition: Albin Michel

 

Le verre à moitié plein ou à moitié vide ? S’agissant, ici, d’un livre, celui-ci est-il seulement à moitié réussi ? Ou à moitié raté ? C’est en tout cas un sentiment mitigé qui ressort de la lecture du dernier livre de Franck Pavloff, L’homme à la carrure d’ours.

Ce qui séduit, verre à moitié plein, c’est le cadre, plus qu’insolite, dans lequel se déroule l’action. On se trouve aux confins de la Russie arctique, dans un endroit appelé « la Zone » où un froid d’acier, souvent en dessous de -30°, fige toute vie.

Quelques années plus tôt, un ordre d’évacuation générale d’urgence a été donné par les autorités, et l’ancien site minier a été déclaré territoire à hauts risques. Des fûts de carburant nucléaires ont été enfouis sous la terre à la hâte, et des mineurs enterrés vivants. Un décret a assigné à résidence à vie les reclus de la Zone. Personne ne peut s’échapper. Et personne ne peut plus non plus y entrer.


« Nul n’a jamais franchi les frontières de la Zone ».

Je vais beaucoup mieux que mes copains morts, Viviane Chocas

Ecrit par Guy Donikian , le Mardi, 24 Janvier 2012. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Héloïse D'Ormesson

Je vais beaucoup mieux que mes copains morts, 12 janvier 2012, 175 P. 17 € . Ecrivain(s): Viviane Chocas Edition: Héloïse D'Ormesson

Blanche est une jeune femme un peu paumée, un peu idéaliste, qui se cherche tout en cherchant le job qui lui permettra d’atteindre le but qu’elle s’est inconsciemment assigné. Ainsi se retrouve-t-elle animatrice d’un atelier d’écriture dans une maison de retraite. Elle avance à l’aveuglette, apprenant à s’adresser à ses vieux au fur et à mesure des séances. Sa première déception est le nombre de participants qu’elle espérait important (un atelier d’écriture ne peut qu’intéresser les gens, fussent-ils âgés) mais qui se réduit à neuf personnes.

Elle tâtonne, Blanche, tant dans ses attitudes que dans ses questions, et ses hésitations la renvoient à elle-même. « T’es obligée d’articuler comme une débile » se lance-t-elle, preuve qu’elle avance en terre inconnue, d’autant que les questions qu’elle pose à ses vieux créent chez eux un malaise dont elle ne sait pas bien quoi faire, des émotions qu’elle a du mal à canaliser. Les souvenirs, parfois anciens et douloureux refont surface, et Blanche veut utiliser ce matériau pour atteindre un objectif : « Les redresser, leur rendre la parole. Mais c’est sous ses pieds aujourd’hui que s’ouvre la trappe du verbe. Sous ses pauvres pieds. Pour enfin témoigner ».

Deadwood, Pete Dexter

Ecrit par Yann Suty , le Jeudi, 19 Janvier 2012. , dans Les Livres, Recensions, Polars, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Deadwood, Folio Policier, 610 p. 1986, traduit de l’anglais (USA) par Martine Leroy-Battistelli, 9,10 € . Ecrivain(s): Pete Dexter Edition: Folio (Gallimard)

« Cet endroit se prête aux idées noires […]. Ici, rien n’est normal, même le temps. Nulle part, il n’y a d’orages pareils. Le jour de notre arrivée, on a vu deux hommes portant une tête humaine en pleine rue. […] Un Mexicain avec celle d’un Indien, et une crapule qui louchait et qui s’appelait Boone May, avec la tête du hors-la-loi Frank Towles. Tout homme intelligent est donc obligé de réfléchir aux choses de la mort… »

Avec Deadwood, aventurez-vous dans l’Ouest américain, le vrai. Celui des cow-boys, plutôt que des indiens, mais loin des clichés hollywoodiens. Le western auquel nous convie Pete Dexter n’a rien de très glamour. Ou bien, il est ultra réaliste, c’est selon.

Tous les personnages, à l’exception d’un seul (et peut-être le plus fou de tous), ont existé et on été présents à Deadwood dans les années 1870. On retrouve des noms rendus mythiques par le cinéma : Wild Bill Hicock, Calamity Jane. Mais sous un jour beaucoup moins flatteur. Ce ne sont que des pochards, des dégueulasses qui ne se lavent qu’une fois de temps en temps, et qui n’ont pas franchement le profil de héros sauvant la veuve et l’orphelin. Au contraire.

Calligraphie des rêves, Juan Marsé

Ecrit par Anne Morin , le Lundi, 16 Janvier 2012. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Biographie, Récits, Christian Bourgois

Calligraphie des rêves, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 412 p. 20 € . Ecrivain(s): Juan Marsé Edition: Christian Bourgois


Une lettre à l’adresse indécise, mal adressée, un messager hésitant entre la littérature et la musique, deux manières d’exprimer la moelle d’une réalité qu’il préfère placer à côté, ou mettre de côté. Un mal entendu, le doigt manquant, celui qui échappe à Ringo, l’empêchant de devenir pianiste et/mais l’obligeant à s’appliquer à tenir le stylo entre pouce et majeur, ne pas écrire n’importe quoi, repasser la phrase dans sa tête, avant de jeter les mots : chacun aura sa place comme les notes sur une portée : « (…) l’autre (main) s’obstine à cacher, avec pudeur, la première annotation, quand, attentif à d’autres échos et à un autre rythme, il décide de corriger et de préciser davantage. (…) Il croit que ce n’est que dans ce territoire ignoré et abrupt de l’écriture et de ses résonances qu’il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l’environnement hostile et se réinventer soi-même » (p.207).

L’ « art de bien écrire », la transmutation. Fixer des rêves comme des vertiges, les laisser s’imprégner de réalité : « (…) C’est peut-être la première fois que ce garçon pressent, ne serait-ce que de façon imprécise et fugace, que ce qui est inventé peut avoir plus de poids et de crédit que la réalité, plus de vie propre et plus de sens, et par conséquent plus de possibilités de survie face à l’oubli » (p.19).