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Inventer les couleurs, Gilles Paris (par Christelle Brocard)

, le Vendredi, 29 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Jeunesse, Gallimard Jeunesse

Inventer les couleurs, mars 2019, ill. Aline Zalko, 48 pages, 11,90 € . Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Gallimard Jeunesse

 

Empêtré dans la grisaille de son quotidien, l’adulte atrophie le monde qui l’entoure. Peu enclin aux rêves et à la fantaisie, les couleurs sont pour lui uniquement celles de la réalité : « Mais les feuilles des arbres sont vertes, Hippo. La mer est bleue et le soleil jaune ». Mais le petit Hyppolite est loin d’être un ahuri. Il a parfaitement observé que les visages de Fatou et de Firmin sont noirs, ceux des jumelles Chan et Cui, jaunes, et ceux d’Abdallah et Antar, café au lait. Aussi ignore-t-il cette remarque condescendante de Jérôme, l’animateur du service de l’Enfance de la Ville, tout en faisant preuve d’une empathie profonde et clairvoyante à son égard. Après tout, ce dernier vit seul, une vie sans couleur, au douzième étage d’un immeuble, tout au fond d’un couloir, avec un chien pas à lui qui pisse sur son paillasson. L’existence d’Hyppolite n’a pourtant rien d’un conte de fées : sa mère est partie avec le père de son meilleur ami, il s’acquitte de tous les devoirs domestiques que son propre père, noyé dans le chagrin et la bière, n’est depuis longtemps plus en mesure d’assumer : « A chaque fois, je bondis hors de mon lit, je lui prépare son café, un peu grognon d’être debout, les cheveux coiffés par le vent du sommeil. Je prends un sac plastique et j’y mets toutes les canettes mortes et le contenu de son cendrier qui déborde de partout ». Pas étonnant qu’il s’endorme en classe et se retrouve chez le directeur.

Réservoir 13, Jon McGregor (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 28 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Christian Bourgois

Réservoir 13, janvier 2019, trad. anglais Christine Laferrière, 348 pages, 22 € . Ecrivain(s): Jon McGregor Edition: Christian Bourgois

 

Jon McGregor nous projette, dans son dernier roman, dans un univers où temps et espace constituent la scansion, la matière même de la narration. 13. 13 ans. 13 réservoirs (réservoirs de la retenue d’eau qui a inondé l’ancien village). 13 chapitres.

Une narration comme nulle autre, énoncée dans un rythme époustouflant et qui relève d’un regard panoptique de chaque instant. Les faits, les personnages, les lieux, les éléments naturels qui leur font écrin (faune, flore, saisons) sont tricotés dans une maille serrée qui tisse une histoire dans laquelle le lecteur se fait auditeur. Pas spectateur. On dit de certains romans qu’ils sont très cinématographiques. Réservoir 13 serait impossible à mettre en scène sauf à se livrer à un montage de fou furieux, haché comme de la chair à saucisse. S’il faut lui trouver un support autre que le livre, ce serait plutôt un roman radiophonique où l’auditeur serait invité à entendre la vie des gens d’une bourgade rurale du centre de l’Angleterre.

Pas perdus, Jean-Yves Cousseau (par France Burghelle Rey)

Ecrit par France Burghelle Rey , le Jeudi, 28 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts

Pas perdus, Plessis éditions, mars 2018, 248 pages, 39 € . Ecrivain(s): Jean-Yves Cousseau

 

Avec son sous-titre Sur le passage de Guy Debord à travers une assez courte unité de temps, Jean-Yves Cousseau invite plus sûrement le lecteur à lire l’introduction longue et passionnante qu’il a écrite pour cette Anthologie littéraire et palimpsestes photographiques, comme l’indique une référence en dessous. Sa démarche artistique liée à la photographie se veut, il le dit d’emblée, « pas légers qui s’emboîtent volontiers sur le passage de quelques personnes, perdus dans l’hiver et dans la nuit ».

La rencontre avec Guy Debord commence par un échange d’ouvrages parmi lesquels un livre de photographies, Lieux d’écrits, sur « les maisons d’écrivains » commis par l’auteur lui-même.

Ce n’est que vingt ans après qu’il retrouvera, dans le volume VI de la Correspondance de son ami, la liste de 60 noms que celui-ci avait dressée pour son projet suivant. A partir de là il lui resta à rechercher des « morceaux choisis » et à tisser « le fil » qui reliait ces auteurs « au travers de situations et d’époques éloignées ». A revisiter également l’ensemble de ses archives argentiques conservées depuis trente années pour s’engager dans une aventure « où la matière visuelle d’un savoir et celle savante d’un voir s’uniraient ».

Nikolaï, le bolchevik amoureux, Gérard Guégan (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 27 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Nikolaï, le bolchevik amoureux, éd. Vagabonde, mars 2019, 172 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Gérard Guégan

 

« Désormais, c’est ici, le nez sur la vitre, que tu reprends des forces en accordant la réalité à ton imagination.

C’est ici que tu chasses de ton esprit le Grand Equarisseur, lui qui, contre toute attente, t’a envoyé en secret à Paris avec mission d’acheter au meilleur prix les archives et les manuscrits de Marx que les socialistes allemands, aidés par les mencheviks russes, ont su sauver des flammes et déposer à Amsterdam au lendemain de l’arrivée de Hitler au pouvoir ».

Nikolaï le bolchevik amoureux est le roman du séjour parisien de Nikolaï Boukharine, un bolchevik de la première heure, proche de Lénine, membre du Comité central, et un temps responsable de l’Internationale communiste, un temps fidèle à Joseph Staline, un temps seulement, le temps d’une mission, d’un exil, avant la chute !

Taqawan, Éric Plamondon (par Marc Ossorguine)

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 27 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Québec, Quidam Editeur

Taqawan, janvier 2018, 208 pages, 20 € . Ecrivain(s): Éric Plamondon Edition: Quidam Editeur

« En langue mi’gmaq, on nomme taqawan un saumon qui revient dans sa rivière natale pour la première fois. Il passe de une à trois années en mer. (…) S’il a survécu à la gueule des phoques, aux dents des requins, aux gosiers des goélands, aux becs des cormorans, il retrouve sa rivière d’origine, après des milliers de kilomètres parcourus. On ignore toujours sur quel type de radar le saumon peut compter pour retrouver le lieu exact de sa naissance. Il se dirige peut-être à l’aide de la position du soleil et des étoiles. Sachant que le saumon a un odorat très développé, mille fois plus puissant que celui d’un chien, certains pensent qu’il retrouve sa route grâce à l’odeur des rivières ».

Le Canada et sa province francophone… cela nous paraît si plein de pittoresque et de nature que l’on s’en contenterait presque. On peut. Mais ce serait faire fi de la réalité et de l’histoire. L’accent n’empêche guère la violence. La violence qui peut être des plus terribles lorsqu’elle s’exerce, comme ailleurs, sur des minorités. Ici les indiens Mi’gmaq (dont le nom, aussi parfois écrit Micmac, n’a rien à voir avec l’expression française qui désigne une embrouille, même si côté embrouille ils en ont subi quelques-unes) et les « incidents » qui se produisirent en 1981 sur la réserve de Restigouche (devenue Listuguj depuis 1992) : des centaines de policiers pour saisir des filets et interdire la pêche aux indiens, alors que cela faisait partie de leur droits reconnus.