Pas perdus, Jean-Yves Cousseau (par France Burghelle Rey)
Pas perdus, Plessis éditions, mars 2018, 248 pages, 39 €
Ecrivain(s): Jean-Yves Cousseau
Avec son sous-titre Sur le passage de Guy Debord à travers une assez courte unité de temps, Jean-Yves Cousseau invite plus sûrement le lecteur à lire l’introduction longue et passionnante qu’il a écrite pour cette Anthologie littéraire et palimpsestes photographiques, comme l’indique une référence en dessous. Sa démarche artistique liée à la photographie se veut, il le dit d’emblée, « pas légers qui s’emboîtent volontiers sur le passage de quelques personnes, perdus dans l’hiver et dans la nuit ».
La rencontre avec Guy Debord commence par un échange d’ouvrages parmi lesquels un livre de photographies, Lieux d’écrits, sur « les maisons d’écrivains » commis par l’auteur lui-même.
Ce n’est que vingt ans après qu’il retrouvera, dans le volume VI de la Correspondance de son ami, la liste de 60 noms que celui-ci avait dressée pour son projet suivant. A partir de là il lui resta à rechercher des « morceaux choisis » et à tisser « le fil » qui reliait ces auteurs « au travers de situations et d’époques éloignées ». A revisiter également l’ensemble de ses archives argentiques conservées depuis trente années pour s’engager dans une aventure « où la matière visuelle d’un savoir et celle savante d’un voir s’uniraient ».
Jean-Yves Cousseau ajoute que les photographies durent être altérées pour ne pas se « cantonner dans une posture fatalement nostalgique » et en explique les conséquences pour son travail. Puis, à propos des textes, il dit regretter que la liste n’ait pas fait une place plus grande aux femmes.
Variété alors merveilleuse de photos où la surprise est au rendez-vous. Mais il faut laisser aux lecteurs le plaisir de les découvrir. Quelques exemples cependant : gros plan sur une mouche, sur une cigarette, jambes de clients buvant au bar d’un café, singes grimaçants, couleurs pastels ou fluo, atmosphère poétique ou sordide ; il y a là tout un monde et bel et bien une anthologie.
L’association de ces photos, toutes contemporaines, avec des textes classiques ou modernes, est un régal pour ceux qui aiment le choc entre les cultures, voire même le choc sémantique. En effet quel rapport, dans le premier texte entre les écrits et leur réception par les lecteurs de Ronsard avec trois photos de routes et de marcheurs ? Et à la page 36 de cette anthologie qui en compte 237, un texte, comme on pouvait s’y attendre, de Debord qui déplore la décrépitude de Paris à partir de 1970, est illustré de belles photos de la ville dont les deux dernières sont piquées de taches marron.
Le lecteur pourra se promener dans le livre au gré de ses goûts et de sa fantaisie jusqu’au dernier texte, celui de Robert Walser. Là, un éloge de la promenade s’accompagne d’images suggestives en ce sens.
Il faut ajouter que les extraits d’auteurs ne se succèdent pas dans l’ordre chronologique des siècles, ce qui permet à la lecture de devenir plus encore une aventure.
Mais avant même le plaisir du lecteur, est ici pensée effectivement toute une philosophie de l’espace-temps. Jean-Yves Cousseau a pu d’ailleurs dire en commentant deux photos envoyées sous forme de cartes postales : « Entre la Pieta de Palestrine et ce nu, cinq siècles ont passé. D’une histoire à l’autre deux mille ans se sont écoulés. Un très court espace de temps sépare ces deux instantanés ».
France Burghelle Rey
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