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La Une Livres

Mohair suivi de mot à mot oratorio, Max Fullenbaum (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 10 Septembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Poésie

Mohair suivi de mot à mot oratorio, Voix Editions, Richard Meier, 2016, 29 € . Ecrivain(s): Max Fullenbaum

 

A la fin, la répétition : Max Fullenbaum et la Shoah

L’ambition d’un livre tient à ce qu’il engage de mots de vie et de mort. Pour autant, « dire » ne suffit pas. Il existe par exemple bien des témoignages sur la Shoah, plus poignants les uns que les autres (de Levi à Anthelme, de Rawicz à Littell aujourd’hui pour le plus récent d’entre eux). Mais qui ne peuvent que tourner autour de l’innommable. Max Fullenbaum, pour tenter d’aller au-delà de cette transmission, a percé une brèche. Car, et comme il l’écrit, « dès 1923 l’année où Marcel Duchamp devint un peintre défroqué, les nazis prirent possession de ces mots à mots déjà là ». Les mots en effet sont toujours prêts à l’emploi pour les bourreaux comme pour leurs victimes. Et c’est pourquoi l’auteur a su inventer un « pas au-delà » (Blanchot). D’où le titre qui par lui-même casse le « ready-made » de ce qu’il semble signifier. Il devient le hors clos du forclos que Duchamp avait ressenti en transformant l’urinoir en fontaine et que Lacan formalisera plus tard en opposant à la langue ce qu’il nomme « lalangue ».

D’Amours, David Léon (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 09 Septembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Espaces 34

D’Amours, septembre 2019, 40 pages, 10 € . Ecrivain(s): David Léon Edition: Espaces 34

 

« L’art d’aimer »

Je reprends pour cette chronique le titre en traduction française du célèbre texte d’Ovide, mais en le détournant, parce qu’il me semble que David Léon considère, quant à lui, l’amour dans sa dimension créative entre théâtre et poésie. Le poète latin de son côté proposait à ses lecteurs une manière d’envisager l’amour. David Léon, lui, fait entendre une suite fragmentaire des états amoureux (chaque page correspond avec son titre, à un moment, à un lieu, à un état de l’amour) : son écriture fait art des corps, du désir, des  scènes érotiques et des voix des amants.

Le titre du livre plonge la lectrice, le lecteur, dans les songeries de textes qu’elle a lus. Je me souviens alors des Amours de Ronsard, du stendhalien De l’Amour, et des Fragments d’un discours amoureux de Barthes, que l’auteur lui-même convoque en épigraphe et dont il adopte, en quelque sorte, le principe de saynète comme celle de la rencontre, ou du regard porté sur l’endormi. Une expression populaire remonte aussi à ma mémoire : vivre d’amour et d’eau fraîche, comme si justement l’amour se vivait dans la simplicité régénératrice du monde. Et il y a de cela dans le lyrisme de David Léon.

René Girard, philosophe politique, malgré lui, Une théorie mimétique des sociétés politiques, Jean-Marc Bourdin (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 09 Septembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, L'Harmattan

René Girard, philosophe politique, malgré lui, Une théorie mimétique des sociétés politiques, 264 pages, 28 € Edition: L'Harmattan

Aux yeux du monde universitaire et intellectuel (deux réalités qui sont loin de se confondre), René Girard a commis un triple péché. D’abord, il s’est éloigné de sa formation académique de départ – l’École des Chartes (où il soutint une thèse d’archiviste-paléographe sur Avignon à la fin du Moyen Âge) – pour naviguer (ou dériver, diront certains) vers la littérature comparée, puis l’anthropologie, mais sans rompre pour autant avec la littérature (une grande partie de son œuvre consiste en analyses de textes célèbres). Au lieu d’enseigner la littérature comparée dans quelque faculté provinciale, Girard fit toute sa carrière aux États-Unis où sa pensée fut, d’une manière ou d’une autre, reçue (le Gran Torino de Clint Eastwood est un film girardien). Quelques décennies plus tôt, un autre comparatiste de génie, Georges Dumézil, fut invité à faire carrière en Turquie, parce qu’il n’y avait pas de place pour lui en France. Être normalien et agrégé de lettres vous destine à enseigner Racine dans un lycée et non à étudier au fin fond de l’Anatolie des langues caucasiennes imprononçables. Dumézil finit par forcer le destin, mais hors de l’institution universitaire.

Le Général a disparu, Georges-Marc Benamou (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 06 Septembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Roman, Grasset, La rentrée littéraire

Le Général a disparu, août 2019, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Georges-Marc Benamou Edition: Grasset

 

« Il n’a pas fermé l’œil depuis dix jours ; et cela se lit sur ce masque dont les cernes semblent marquées au burin ; ces yeux rougis, enfoncés, minuscules qui accentuent le caractère éléphantesque de sa physionomie. Depuis les évènements, et son retour de Roumanie, il a passé toutes ses nuits en alerte, dans la pénombre du Salon doré, en robe de chambre où, faute d’un gouvernement capable, il tenait là, en solitaire, ses réunions d’état-major ».

Le Général a disparu est le roman d’un Pays et d’un Vieux militaire. Nous sommes en mai 1968, ce mois qui fait trembler le Général, un mois de barricades et de révoltes, un mois où les pavés dansent, et où le doute se glisse dans les pensées du Président. Il consulte, il écoute. Ils sont tous là, autour du Général : Louis Joxe – allure chic du grand serviteur de l’Etat – Messmer – un légionnaire pour la vie –, Fouchet – cette âme molle dans une enveloppe de rugbyman –, et lui De Gaulle. De plus en plus seul, s’isolant, et cherchant une solution pour sortir de cette crise, de cette révolution, pour en sortir enfin.

Sélection du Prix littéraire de la vocation 2019 (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 06 Septembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres

Jiazoku, Maëlle Lefèvre, Albin Michel, janvier 2019, 352 pages, 20 €

Deux pôles : Tokyo et son tristement célèbre quartier des yakusas (voyous), et Shanghai. Deux personnages : Kei, l’enfant japonais qui devait devenir chinois, et Fen, la jeune fille de Shanghai originaire, sans le savoir, du Japon. Tous deux sont nés de la même mère porteuse, tous deux sont amenés à se rencontrer. L’auteure retrace peu à peu leur parcours : celui de Kei croise ceux de Guan Yin, à la fois mère porteuse et déesse de la fécondité, du proxénète et père putatif Daisuke, de Bo la prostituée, du délinquant Narumi et de la junkie An, son autre sœur biologique. Celui de Fen rejoint le destin de riches collégiens ou celui de sa tante, la cheffe d’entreprise Meili. Quels liens peuvent unir les trois enfants d’une mère porteuse, dont les destinées livrées à elles-mêmes sont bien différentes ? Les hasards et nécessités croisés de la famile sont exprimés par le mot-valise du titre du roman, jiazoku, formé de jia en chinois et de kazoku en japonais, qui signifie famille. Ce roman d’une toute jeune auteure de dix-neuf ans, qui prend place de 2016 à 2035, et dont les jeunes héros sont à peine un peu plus âgés qu’elle en fin d’ouvrage, est un roman d’anticipation en matière de droit de la société et de la famille. Tendresse infinie et violence extrême s’y font jour, témoignant d’une justesse de ton romanesque.