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La Une Livres

Les Cabanes du narrateur, Œuvres choisies, Peter Handke (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 24 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Langue allemande, Roman, Nouvelles, Gallimard

Les Cabanes du narrateur, Œuvres choisies, Peter Handke, Quarto/Gallimard, novembre 2020, 1152 pages, 26 € (1) Edition: Gallimard

 

« En marchant par l’écriture, en écrivant par la marche, Peter Handke a cherché ce paradis en cherchant ces mots, l’un par les autres, et il lui est arrivé de les trouver. Ces livres sont les étapes d’un exploit » (Le chemin se fait en marchant, Philippe Lançon).

« Je marchais, vivifié par le vent debout ; le bleu de la montagne, le brun des forêts et le rouge carmin des corniches de sable, c’étaient mes pistes de couleur » (La Leçon de la Sainte-Victoire).

« Pendant que le ciel se faisait couleur de soufre, une friche verdissait dessous et les sentes à travers les champs de décombres devenait vert mousse. Alors que tout était depuis longtemps plongé dans le crépuscule, un buisson d’églantier traçait un arc lumineux » (Essai sur le juke-box).

Indice des feux, Antoine Desjardins (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mercredi, 24 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles

Indice des feux, Antoine Desjardins, éd. La Peuplade, janvier 2021, 360 pages, 20 €

Indice des feux rassemble sept longues nouvelles, à la fois très diverses et unies par un fil rouge d’une brûlante urgence : le délabrement du monde – qui devient immonde à force de négligence, d’exploitation et de dévastation – et ce que sa destruction fait aux hommes – du moins à ceux qui s’en inquiètent… Elles explorent différentes formes de la détresse humaine, à savoir, pour la plupart, une expérience douloureuse associée à un phénomène plus ou moins « naturel », le plus souvent engendré ou favorisé par l’action humaine : dans la première, A boire debout, un adolescent agonise lentement d’une leucémie, tandis que les eaux montent et inondent la ville et le Québec. Dans la dernière, Ulmus americana, un vieil homme dépérit à cause d’un cancer mais consacre toute l’attention et l’énergie qui lui restent à son orme miraculé, épargné encore par la graphiose qui a décimé cette essence. Dans Couplet, un jeune couple qui attend un enfant est chassé anticipativement de son appartement par une invasion de souris – juste retour de boomerang… – et se délite, hanté par la mort des baleines et l’angoisse : « Un enfant, dans ce monde-là ? ».

L’arche inuit, Fragments de l’arche-inuit, Denis Ferdinande (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 24 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

L’arche inuit, Fragments de l’archi-nuit, Denis Ferdinande, éd. Atelier de l’agneau, Coll. Architextes, novembre 2020, 146 pages, 18 €

 

« Et si tout revenait à ne plus savoir écrire ? », interroge le « diariste littéraire » d’entrée, dans l’« Avant-dire », sous « l’arche » du Langage dont, il prévient, la syntaxe (liée à la sémantique) est ici l’objet d’investigation primordial (« de la syntaxe avant toute chose », écrit Denis Ferdinande, où Paul Verlaine écrivit « de la musique avant toute chose » dans son Art poétique). L’auteur évoque bien la possibilité de « ne plus savoir écrire », et non de ne plus vouloir écrire. Nous touchons là à l’articulation de l’être et du monde, dans l’Histoire qui s’écrit, sur le fil linéaire déroulant le parchemin-palimpseste expérimental du Je alias « Personne ». La nuit s’ouvre arche éperdue, porte battante sur le seuil du jour, et « l’écrivant » ne peut que s’autoriser la forme linéaire du journal sauf à rejoindre l’indicible vacuité de ce qui s’écarterait de son expérience même scripturale. L’Écrire tourne ici roue libre sur l’axe d’une pensée itinérante, cadre roulant construisant sa voie tel ce E dessiné sur le frontispice de ces « Fragments de l’archi-nuit » (métal tenant lieu d’armure de la lettre) : AVEC ROTULE CENTRALE EN ACIER par quoi la lettre pouvait être mue, y ajoutant l’accent, XIIIe siècle).

Un enfant de Dieu, Cormac McCarthy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, USA, Roman, Points

Un enfant de Dieu (Child of God, 1973), trad. américain, Guillemette Belleteste, 170 pages, 6,40 € . Ecrivain(s): Cormac McCarthy Edition: Points

Lester Ballard est un monstre. Qu’est-ce qu’un monstre ? Une chose venue d’ailleurs, d’une galaxie inconnue, du ventre d’aucune femme, d’une usine à androïdes ? De l’Enfer peut-être, sans doute. Ballard serait fils du Diable – cet enfant de Dieu nous dit cependant Cormac McCarthy. Et c’est troublant comme l’est ce roman, jusqu’au malaise. La plongée que nous faisons avec Ballard au fond du Mal est une exploration de la folie démoniaque comme le sont les possessions, avec les mêmes scansions hallucinées, la solitude, la mort, le sexe, la terreur. Nul n’a jamais dit – sinon les ignorants – que les enfants de Dieu sont les porteurs du bien. Ils se débattent depuis toujours entre le bien et le mal, avec une liberté qui est le pire châtiment qu’on leur puisse infliger. Quand le basculement a-t-il lieu ? Quand et pourquoi ? Qui a fait de Ballard un monstre horrifiant ? Des pistes sont vaguement évoquées par McCarthy, traditionnelles : l’enfance rude, le père violent et suicidé, la mère envolée avec un bellâtre. Mais de toute évidence ce n’est pas là son propos. Il raconte Ballard, jamais ne le juge et ne cherche pas vraiment à l’expliquer. Et, en racontant Ballard, il explore un territoire particulièrement fascinant et étrange de l’humanité : la passion du mal. Freud, au détour de l’inconscient, a vu que les pulsions abdiquent toute raison – jusqu’à la pulsion de mort, qui rend la mort (de soi, de l’autre) désirable. En ce sens Ballard est humain, trop humain. Ou encore par-delà le bien et le mal, pour rester dans le champ nietzschéen.

La colline du mauvais-conseil, Amos Oz (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 23 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Gallimard, Israël

La colline du mauvais-conseil, Amos Oz, Gallimard, Coll. L’Imaginaire, novembre 2020, trad. hébreu, Jacques Pinto, 248 pages, 10,50 € . Ecrivain(s): Amos Oz Edition: Gallimard

 

« Et Edouard répliquait avec sévérité : Mes amis je vous en prie, revenons à l’ordre du jour » (p.244). Il n’est pas indifférent que cette injonction soit faite par le superviseur anglais d’une opération visant à l’épuration de l’eau, aux deux « ingénieurs », juif et arabe, au temps de l’occupation britannique.

Trois histoires liées, nouées par les enfants, enfants de l’immigration juive, dont l’un, Uriel qui en est le pivot, prend les traits et en partie l’existence d’Amos Oz.

Dans le premier récit, la mère d’Uriel s’enfuit avec un lord anglais, l’enfant sera envoyé au kibboutz, dans le second les parents semblent fomenter un complot pour chasser l’occupant, dans le troisième où la parole est donnée à un médecin atteint d’une maladie incurable, Uriel confié aux bons soins d’une tante attend le retour de ses parents… aucun de ces récits ne reflète ou ne recouvre la réalité complète de la vie de l’enfant Amos Oz, mais tous en possèdent une part, un contour :