Identification

Ecriture

Les travaux et les jours 9 (extraits) - La fille (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Lundi, 10 Février 2020. , dans Ecriture, La Une CED, Bonnes feuilles

 

Devant l’ordinateur familial, elle s’amuse, par la grâce de Google Street View, à se couler dans les rues de sa ville qui, au fil de sa progression saccadée le long de chaussées ensoleillées et désertes, prend les allures étranges, presque inquiétantes, d’un décor de jeu vidéo. Dans les silhouettes fugitives capturées par la Google car, il lui semble parfois reconnaître un être familier. Certaines adresses, certains morceaux de rue sombrent dans l’inconnaissable, le logiciel montrant obstinément, à la place de telle boutique, de tel immeuble, l’entrée d’un parking souterrain ou une façade aveugle, comme si ce point de l’espace avait été effacé, avalé, ou – pour l’entrée du parking – remplacé par cette sorte de portail illusoire vers un autre monde, appel toujours frustré à aller en-dessous, derrière ces images en trompe-l’œil. Pourtant, devant la maison d’une amie, elle ne peut s’empêcher d’attendre l’apparition de son visage, là-haut, entre les rideaux bleus de sa chambre, avec un vague sentiment d’effroi à l’idée, de croiser, à travers l’écran, son regard.

La phrase de monsieur Proust – Histoire dévote (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mardi, 07 Janvier 2020. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

La phrase de monsieur Proust est dense, lente, nombreuse. Elle ressemble au mouvement de ses fines mains dont s’est souvenue Céleste Albaret, à sa conversation dont nous avons tant de témoignages. Mais elle n’a en vérité aucun rapport avec ses mains ou sa conversation : n’écrivent comme ils parlent que les écrivains médiocres – plût au Ciel que nous parlions quelquefois comme nous écrivons. On peut la comparer à une promenade en forêt quand s’ouvrent de nouveaux sentiers ; à une marche sur une crête d’où s’aperçoivent des trouées où le vent plonge. Il arrive qu’on s’y perde. On aurait scrupule à l’interrompre. On ne la comprend pas toujours. On lui demande alors de s’expliquer, de se répéter, ce à quoi elle renâcle, aussi polie soit-elle. Elle est à l’occasion méchante. Elle n’est pas systématiquement gaie. On admire à d’inégales fréquences ses lointains mélancoliques, ses gloussements moqueurs. Comme les maisons de nos vieilles tantes dans nos enfances imaginaires, elle a des entresols et des paliers qui demeureront inexplorés. Il y a des pièces pour y accueillir nos camarades, d’autres pour y boire un tilleul, d’autres encore pour y dormir ou s’y livrer à des amusements réprouvés par la Morale. Ses odeurs de fleurs séchées, de pré humide, de cave, de grenier provincial, d’intérieur d’église, de choses anciennes que l’on n’a pas aérées depuis des mois comblent ou rebutent.

Eloge des voix douces (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 05 Décembre 2019. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

 

Eloge des voix douces, du chuchotement.

Eloge des chemins du bord des fleuves.

Eloge des pas dans la neige.

Eloge du silence en forêt quand les sentiers bifurquent ou se confondent.

Eloge de la rouille, de la mousse, des palissades lépreuses, des façades ravagées où cent tableaux intriguent.

Eloge d’une route pavée où l’herbe regimbe.

Eloge d’un cimetière à l’abandon près d’une église dont on a égaré les clefs.

Eloge d’un parc dont il faut escalader les grilles.

Eloge des ruines tenaces, des quartiers poussiéreux, des squares blafards.

Poèmes de Pedro Belo Clara Traduits du portugais par Stéphane Chao (2)

, le Mercredi, 27 Novembre 2019. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

 

NO ABRAÇO DE MAIO

Vales e colinas de jade luzente. À flor dura da tarde, tudo cintilava em cegueiras de vidro. Só a sombra, despida, dançava aos pés do carvalho emudecido.

Os corpos respiravam como o mundo: lentos, naquela ondulação suave de quem não conhece fome. Não viviam sonhos ou cores que não aquelas. As aves bastavam, desfraldadas à brisa de dorso palpitando como prata ao beijo do sol.

À boca levavas o cálice com a graça de quem louva a luz resplandecente, num gesto de rio reconhecendo águas semelhantes. Meu era o silêncio dos trevos. Naquela intimidade solar, esquecia o insistente apelo dos orvalhos.

Nenhum toque era pedido. Parecia que na tangível eternidade do dia as boninas cintilariam pelas noites vindouras. Mas setembro nunca deixa o verão celibatário em sua morte. Que linho se não tinge no desflorar das amoras?

Poèmes de Pedro Belo Clara Traduits du portugais par Stéphane Chao

, le Jeudi, 21 Novembre 2019. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

 

SAÍDA PARA PIQUENIQUE

Era um tempo em que julgava que as tardes de verão cabiam inteiras na fundura dos teus olhos. E a tua boca era a fresca fonte de todas as canções que o vento desconhecia. Oh, por quantos dias aí não matei a sede lancinante? Nessa soleira donde simples ria a alma vadia, irmã das árvores e dos pássaros de solidão azul?

Um imenso sorriso no começo de cada trilho regando papoilas e cardos, afagando pedras e espinhos que nunca conheceram o peso dum pomo, curando a muda dor da terra como quem abraça o breve terror duma criança de joelho ferido.

Num alegre balanço de flor entregue ao vento, uma cesta sem sonhos pendia das mãos limpas de hesitações. Nela, apenas o pão cozido no ventre da estação, o vinho que regaria as horas por nascer adormecendo num conforto de grão ainda no silêncio da espiga – e todos os frutos redondos que a manhã de linho, na sua maternal generosidade, desejou oferecer.