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Critiques

Héliogabale, Drame en quatre actes, Jean Genet (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mardi, 25 Juin 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Gallimard, Théâtre, Hachette Romans

Héliogabale, Drame en quatre actes, Jean Genet, Gallimard, mars 2024, 105 pages, 15 € . Ecrivain(s): Jean Genet Edition: Gallimard

 

Sans être passée inaperçue, la récente publication de la pièce inédite de Genet, Héliogabale, n’a pas eu le retentissement escompté par les admirateurs de l’écrivain. L’œuvre de Genet serait-elle aujourd’hui considérée comme datée, trop circonscrite par une époque, ou, close sur elle-même, n’aurait-elle plus rien à nous dire ? Ou ce relatif silence, ces articles convenus auraient-ils leur source dans le malaise que l’auteur, ses livres, pourtant somptueux et défricheurs comme avec Proust de terras incognitas de la sensibilité, et ses engagements politiques continueraient d’entretenir ?

Dans une remarquable préface, François Rouget éclaire la genèse et les conditions de la redécouverte de cette pièce, proposée à Jean Marais en 1943, qui n’a pas été séduit, et jamais représentée. Genet est une nouvelle fois emprisonné en avril 1942, pour un délit mineur, à la Santé d’abord puis à Fresnes où il restera jusqu’en octobre.

Le Novice, Mikhaïl Lermontov (par Marie-Hélène Prouteau)

Ecrit par Marie-Hélène Prouteau , le Lundi, 24 Juin 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Russie, Roman

Le Novice, Mikhaïl Lermontov, éditions Alidades, mai 2024, trad. russe, Guy Imart, 60 pages, 7 €

 

Les éditions Alidades se caractérisent par un engagement très fort en faveur de la traduction et de la publication de textes étrangers venus d’horizons littéraires variés. Ce recueil paru dans l’importante Collection bilingue, Petite bibliothèque russe, offre la traduction d’un long poème de Mikhaïl Lermontov par Guy Imart et d’une postface très éclairante d’Emmanuel Malherbet, l’éditeur. Ce grand poète romantique russe, né à Moscou en 1814 et mort en duel en 1841 dans le Caucase est peu connu en France, sauf de cercles slavophiles restreints. Dans sa jeunesse, Julien Gracq a traduit du russe le poème La Voile, qu’il mentionne dans Lettrines 2. Plus tard, dans En lisant en écrivant, il voit en Lermontov un des poètes et écrivains européens qui, avec sa vision du Caucase, suscitent « l’éveil paysagiste aux grands horizons ».

Le Novice, poème narratif en vingt-cinq strophes a été traduit une seule fois, en 1969 par Georges Arout. C’est dire si la publication des éditions Alidades est une initiative exemplaire.

Agonie d’Agapè (Agapè Agape), William Gaddis (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 20 Juin 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, En Vitrine, Cette semaine

Agonie d’Agapè (Agapè Agape), William Gaddis, 2002, Editions Motifs, trad. américain, Claro, 95 pages

 

Il s’agit aussi bien d’agoniser que d’agonir. Agonie d’un homme qui se sent – et veut – quitter ce monde qu’il abhorre tel qu’il le voir devenir et qu’il agonit d’imprécations aussi douloureuses qu’amères. Un flux de conscience poussé à son extrême constitue ce texte – roman nous ne dirons pas, même si le personnage est romanesque à souhait – comme il constitue un chapitre chez Thomas Bernhard dans ses diatribes de Perturbation. Il serait difficile de ne pas évoquer ce dernier et cependant Gaddis a l’amertume plus intime, plus humaine, plus collée à la noblesse de l’âme.

Et puis, page après page, on se laisse porter par quelque chose qui n’est plus le signifié, une prosodie, une mélopée, une aventure stylistique plus proche de l’Ulysse – presque de Finnegan’s Wake – de Joyce. C’est de ce côté que Gaddis regarde, le primat absolu du verbe, le dire plus que le dit. L’allusion à Joyce est même clairement énoncée. Parfois. Par des phrases scandées par des absences, des vides, des suspens.

Villa Florida, Journaux 1918-1934, René Schickele (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 19 Juin 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits, Histoire

Villa Florida, Journaux 1918-1934, René Schickele, éd. Arfuyen, novembre 2023, trad. allemand, Charles Fichter, 260 pages, 18,50 €

 

Mario Praz avait coutume de dire que les écrivains mineurs réfractaient mieux l’esprit de leur époque que ne le faisaient les « phares » baudelairiens, dont le génie dépasse leur propre temps. À n’en pas douter, René Schickele appartient à la première catégorie. Celui qui se définissait comme « citoyen français und deutscher Dichter » (« citoyen français et poète allemand », encore que la notion de Dichter soit complexe et ne se superpose qu’imparfaitement à celle de poète) naquit en 1883, dans une Alsace faisant alors partie de l’Empire allemand, mais le français fut, au sens plein du terme, sa langue maternelle, puisque sa mère était originaire du Territoire de Belfort, la partie de l’Alsace demeurée française après 1870 (ce qui explique sa position insolite dans la nomenclature des départements). Parfaitement à l’aise entre deux cultures antagonistes (Éric-Emmanuel Schmitt remarquait que le Rhin ne sépare pas deux pays, mais deux civilisations), il était un jour en Allemagne et le lendemain à Paris où, jeune journaliste, il fut fasciné par Jaurès. En 1922, il s’installa à Badenweiler, ravissante petite ville allemande, où Tchekhov était mort quelques années plus tôt.

Le Journal d’une femme de chambre, Octave Mirbeau (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 18 Juin 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

Le Journal d’une femme de chambre, Octave Mirbeau, Folio, février 2024, édition de Noël Arnaud, révisée par Michel Delon, 592 pages, 8,30 € Edition: Folio (Gallimard)

 

« D’ailleurs, j’avertis charitablement les personnes qui me liront que mon intention, en écrivant ce journal, est de n’employer aucune réticence, pas plus vis-à-vis de moi-même que vis-à-vis des autres. J’entends y mettre au contraire toute la franchise qui est en moi et, quand il le faudra, toute la brutalité qui est dans la vie. Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture ».

Célestine prévient d’emblée, dès la première entrée du Journal d’une femme de chambre, que ce qu’elle propose au lecteur sera peu reluisant, sera un portrait sans fards de la bourgeoisie au service de laquelle elle a été, et pourtant la critique fut scandalisée lors de la publication de ce roman d’Octave Mirbeau en 1900.