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Critiques

Watership Down, Richard Adams (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 02 Juin 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Monsieur Toussaint Louverture

Watership Down, Richard Adams, juin 2020, trad. anglais Pierre Clinquart, 544 pages, 12,50 € Edition: Monsieur Toussaint Louverture

 

Le roman de Richard Adams, revêtu par Monsieur Toussaint Louverture pour cette réédition d’une élégante jaquette métallisée verte et blanche, s’ouvre sur une carte de Watership Down qui donne d’emblée le ton : c’est une épopée au ras de l’herbe que nous proposent les aventures des lapins Fyveer, Hazel et Bigwig – pour ne citer que les plus marquants de ces personnages aux longues oreilles. Cette carte – qui évoque les codes de l’heroic fantasy –, les citations empruntées à Eschyle, Tennyson, à la Bible, à l’épopée de Gilgamesh pourraient suggérer un contraste plaisant entre les grandes orgues épiques qu’elles convoquent et les exploits de ces petits héros en fourrure. Mais ce serait sans aucun doute mal lire le roman de Richard Adams qui, par-là, nous indique au contraire la juste réception de ces aventures vécues au travers des champs et des prés : les lapins de Watership Down, pas plus que les elfes et les nains de Tolkien, ne doivent être cantonnés au domaine de la littérature enfantine. Ils appartiennent à un espace imaginaire qu’adultes et enfants peuvent pleinement partager. C’est dire aussi qu’il ne s’agit pas d’abord de chercher dans ce roman la satire, ou d’y voir le voile d’une fable politique – même si de politique il est bien question dans Watership Down : les personnages, le monde décrit, les obstacles rencontrés y ont une richesse et une saveur qui n’exigent pas l’adjuvant de l’interprétation pour les goûter.

Juif de personne, Michel Persitz (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 02 Juin 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits, Jean-Claude Lattès

Juif de personne, Michel Persitz, octobre 2019, 350 pages, 20 € Edition: Jean-Claude Lattès

 

En ses premiers chapitres, Juif de personne n’est pas sans présenter des analogies avec le livre de Gérard Ejnès, Comment le dire avec circoncision ? (paru quelques semaines plus tôt) : même humour un peu lourd, même ironie qui se veut voltairienne vis-à-vis des dogmes du judaïsme, de ses récits fondateurs et de ses rituels millénaires, même insistance pesante sur l’acte de la circoncision (p.32). Le chapitre 8 développe ainsi une comparaison irrévérencieuse entre la Bible hébraïque et une quelconque série de Netflix : « Dernière saison : le Tanakh, les “Écrits”. Là, on sent vraiment monter la fatigue des scénaristes. Même le titre n’est pas accrocheur. C’est un vrai foutoir. Les Psaumes, les Proverbes, divers récits : Ruth, Esther, Daniel. Les rédacteurs sont payés à la page. Tout cela est réservé aux inconditionnels, aux barbus à chapeau noir, papillotes et kaftan, aux véritables accros de la série » (p.65). On est embarrassé de rappeler à Michel Persitz que l’acronyme Tanakh désigne la Bible hébraïque en entier, et pas seulement sa dernière partie. Le lecteur comprend vite que l’auteur n’est pas un Juif orthodoxe et qu’il a des comptes à régler avec la religion de ses pères, mais à quoi bon en faire un livre qui ne convaincra que ceux qui le sont déjà ? Inscrivons à son crédit qu’il ne fait point partie de ces croyants totalement étanches au doute, quelle que soit leur foi.

La mangeuse de guêpes, Anita Nair (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 29 Mai 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Albin Michel

La mangeuse de guêpes (Eating wasps), Anita Nair, février 2020, trad. anglais (Inde) Patricia Barbe-Girault, 343 pages, 20,90 € Edition: Albin Michel

 

« C’est mon petit doigt qui me l’a dit ! »

La romancière Anita Nair connaît-elle cette expression bien française ? La formule possède-t-elle son équivalent en Inde ?

Quoi qu’il en soit, voilà un roman dont la narratrice est, singulièrement, la phalange d’un doigt, précieusement recueillie, après le suicide de sa « propriétaire » et son incinération, par l’amant dont le lâche comportement a, au premier chef parmi d’autres raisons, conduit la jeune femme, Sreelakshmi, professeure, écrivaine, à se donner la mort à la date précise du 25 octobre 1965.

Cinquante ans plus tard, dans un sombre recoin d’un hôtel du Kerala portant l’enseigne Near the Nila parce que situé au bord de la rivière du même nom, l’os est retrouvé au fond d’une vieille armoire pourrissante, par Urvashi, une femme harcelée venue s’y réfugier.

De la mort au matin, Thomas Wolfe (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 27 Mai 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Nouvelles, Stock

De la mort au matin (From Death to Morning, 1935) traduit de l’américain par R. N. Raimbault et Ch. P. Vorce. 280 p. . Ecrivain(s): Thomas Wolfe Edition: Stock

 

Ce recueil de textes est présenté – et c’est bien normal – comme un recueil de nouvelles. Or rien n’est plus étranger à Thomas Wolfe que ce genre littéraire spécifique. Si l’on s’en tient à la forme, oui, il s’agit de courts récits sur divers moments ou thèmes, des « nouvelles » donc. Mais très vite – pour qui connaît un peu l’œuvre du géant du Sud (par la taille et le génie) – on se rend compte qu’il s’agit de bribes de la montagne de feuilles manuscrites que Wolfe apporta un jour à son éditeur, le bon Maxwell Perkins de Scribner effaré, et dans laquelle il dut piocher, rapiécer, restructurer, pour en faire naître enfin quatre romans fabuleux et des « nouvelles » étincelantes. L’œuvre de Wolfe, en d’autres termes, est UNE, un bloc indissociable même s’il fut dissocié pour des raisons éditoriales. Wolfe se raconte comme une fiction, ou plutôt il raconte, dans un flot inextinguible, ce que sa mémoire ahurissante lui dicte. La phrase obsessionnelle en est l’outil, qui détaille tout, les recoins des lieux, des personnages, des faits. Le style de Wolfe est obsessionnel, fait de phrases récurrentes, d’imprécations exaltées, de champs lexicaux surchargés.

De la Souveraineté, À la recherche du bien politique, Bertrand de Jouvenel (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 27 Mai 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Calmann-Lévy

De la Souveraineté, À la recherche du bien politique, Bertrand de Jouvenel, 2019, 480 pages, 22,50 € Edition: Calmann-Lévy

 

Que sont la souveraineté, l’autorité, l’obéissance ? Pourquoi un être humain accepte-t-il d’obéir à un autre être humain, qui ne lui est pas objectivement et ontologiquement supérieur ? Contrairement à ce que proclame la vulgate rousseauiste, l’homme ne naît pas libre. Peu de créatures vivantes sont, en ce monde, aussi dépendantes qu’un nouveau-né, qui ne survivrait pas plus de quelques heures sans les soins attentifs de sa mère. Si exaspérants soient-ils, les hurlements du nourrisson expriment avant tout son absolue faiblesse. Jusqu’à un certain âge, l’enfant obéit à ses parents, parce qu’il ne serait rien sans eux. Cela est au moins clair. Mais dans les entreprises, dans la société, pourquoi obéit-on ?

Bertrand de Jouvenel (1903-1987) est un des grands (et des rares) penseurs politiques que la France ait produits au XXe siècle (avec Julien Freund et Raymond Aron).