« Sans doute, n’aimons-nous jamais que les énigmes » : de celles, merveilleuses, qui voient par exemple un livre s’ouvrir sur une phrase d’Annie Le Brun. Le ton est donné : Blandine Rinkel, d’emblée, place son premier roman à un niveau d’exigence littéraire qui force le respect. Annie Ernaux ? Pierre Michon ? L’abandon des prétentions lorgne en effet vers de sacrés aînés qui en intimideraient plus d’un.
Appelons donc cela roman, puisque c’est marqué sur la couverture. Une jeune femme fait le portrait kaléidoscopique de sa mère, Jeanine, prof d’anglais à la retraite à Rezé, petite ville près de Nantes. 65 ans et, pour elle, 65 chapitres brefs écrits à la première personne – 66, en comptant ce chapitre 0 qui affiche le projet d’une fille vis-à-vis de sa mère, « regarder à travers la lucarne organique qu’est son propre regard pour enfin aller à sa rencontre » – et qui forment autant de fragments de tendresse à l’égard de celle qui n’existe que par, et pour les autres. Moussa l’ingénieur syrien, Alvirah la vieille Algérienne perdue au supermarché, Nicolas et Kareski les détenus récidivistes, Sarah la chauffeuse de poids-lourds et sa cohorte de camionneurs fêtards, Carmen la mythomane espagnole, un étrange marin russe ancien danseur du Bolchoï, Ruth l’Américaine, Brenda d’Ottawa, le jeune couple Sébastien et Romaric…