L’entreprise d’Albert Londres n’a pas d’équivalent connu. En 1929, en pleine « prospérité » de l’antisémitisme partout en Europe, il entreprend – en tant que journaliste – une vaste enquête-reportage sur les communautés juives d’Europe centrale et de Palestine. Ces choix sont parfaitement ciblés : Londres veut mesurer le chemin qui mène des ghettos misérables de Pologne par exemple à la genèse de la réalisation de l’idéal sioniste. « Ses » Juifs sont juifs. Pas « Israélites », terme qui désignait alors – pour les détacher du vilain Juif tout noir – les Juifs occidentaux, de France, d’Angleterre ou d’Italie entre autres, intégrés, prospères et propres sur eux.
Dans sa quête, Albert Londres va plonger au fond du gouffre sombre qu’est alors la vie juive des Shtetls (villages juifs) et des Ghettos de Varsovie ou de Prague. Son témoignage est hallucinant. A la représentation antisémite du Juif riche, puissant et influent, Londres va opposer, visite après visite, presque maison après maison, la réalité terrible d’une misère juive proche de la condition animale. Londres a tout pourtant pour dormir sur ses lauriers – son livre, Au Bagne, vient d’être joué sur la scène, tous ses livres sont des best-sellers – mais non, il va « s’embarquer » dans une aventure-reportage longue et difficile. Albert Londres ne connaît rien au sujet. Pour lui, c’est une raison de plus. Pour nous, un étonnement de plus.