Correspondance 1946-1954 Saint John Perse, Calouste Gulbenkian
Correspondance, 1946-1954, Saint-John Perse, Calouste Gulbenkian, Gallimard, 333 pages, 22 €
Ecrivain(s): Saint-John Perse Edition: Gallimard
Une étonnante correspondance nous est livrée ici entre Saint-John Perse (Alexis Leger), le poète diplomate, et Calouste Gulbenkian, l’homme d’affaires, d’origine arménienne, le mécène fortuné qui constitua une collection de peinture reconnue mondialement et aujourd’hui exposée à Lisbonne. Cette édition a été établie par Vasco Graça Moura, poète, député européen et directeur de la fondation Gulbenkian à Lisbonne.
Ce sont 52 lettres de Saint-John Perse et 37 de Calouste Gulbenkian qui composent cette correspondance. Cet échange a lieu alors que le poète est exilé aux Etats-Unis, après l’armistice qu’il refuse. Les deux hommes, qui se surnomment Douglas, vont aborder des sujets qui auront trait à la situation politique internationale, à l’aménagement du parc des Enclos, propriété que Gulbenkian a acquise, et à leur santé mutuelle, parce que ce sont deux hypocondriaques.
Sachant que le poète a des soucis pécuniaires, l’homme d’affaires lui propose une rente en échange de laquelle il lui fournirait des informations relatives à la situation internationale vue depuis les U.S.A. Et les lettres seront longues et denses quand elles décriront par le menu les entrelacs des diplomaties, alors même que la guerre froide sévit. L’éventualité d’une troisième guerre mondiale est souvent abordée, et l’homme d’affaires est très préoccupé par ce contexte, ses affaires pouvant en pâtir, ou en bénéficier. Ainsi Saint-John Perse écrit-il le 7 octobre 1950 son souhait d’associer l’Allemagne à un complexe industriel en Europe occidentale ; puis il n’hésite pas à fustiger le bas niveau du milieu politique français avant de déclarer ne pas croire au risque d’une guerre mondiale.
Dans sa réponse du 11 novembre 1950, Gulbenkian, après avoir rapidement décrit les causes de sa fatigue (épistaxis, lumbago) remercie le poète pour ses lettres, d’une part pour lui avoir conseillé le recours à un sourcier pour les Enclos, et d’autre part pour ses analyses de la situation internationale, en donnant son avis sur « l’affaire de Corée ». Dans la lettre qui suit, le mécène déclare : « Une amélioration des relations russo-américaines est improbable ; de plus, leur hostilité et leur incompréhension mutuelle faisant tâche d’huile parmi leurs partisans, il est logique de prévoir une aggravation du chaos politique et économique dont souffre le monde entier ».
Ces considérations se mêlent très souvent aux conseils que le poète prodigue pour les Enclos ; un sourcier, ou encore le choix de certains arbres qui correspondent aux souhaits de Gulbenkian, choix dictés par le climat océanique. Les Enclos, parc situé prés de Deauville, sera l’une des préoccupations du mécène dont il voulut créer un ensemble harmonieux. Pari réussi puisque aujourd’hui le parc se visite.
Enfin l’hypocondrie les conduit à des avis très affirmés sur les médicaments et autres vaccins. Le poète semble très au fait des effets plus ou moins bénéfiques du vaccin anti-influenza dont il dit qu’ils n’ont qu’une valeur relative parce qu’ils sont polyvalents et parce qu’ils sont administrés par voie orale !
Cette correspondance est réellement riche tant elle nous donne à lire les analyses de ces années d’après-guerre plombées par la guerre froide, où l’on découvre un Saint-John Perse peu confiant envers le Général de Gaulle, et deux hommes se livrant plus intimement. C’est aussi l’heur de relire la richesse et la densité du poète.
Guy Donikian
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