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Articles taggés avec: Gavard-Perret Jean-Paul

Modiano : entraves et libertés (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 30 Octobre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

I

Modiano écrit comme tout auteur réellement conséquent un même livre. Il n’est jamais le même puisque écrit à divers moments si bien que, dans ses profondeurs, la vie psychique du narrateur n’est jamais la même. La nature de son indicible et de son opacité transforment sans cesse des douleurs premières : elles se mêlent à celles de la fuite du temps.

L’imaginaire et la langue fraient avec un vécu non direct mais de transmission altérée dans lequel le récit de chaque histoire, chaque intrigue reste essentiel. Si bien que la recherche formelle n’est jamais autosuffisante, autarcique.

Bref, Modiano c’est du Simenon, du Roger Munier mais en bien mieux. L’auteur se reconnaît dans la facture de ses intrigues plus que dans ces expérimentations souvent gratuites chez ceux qui s’y perdent faute d’inspiration.

La Jérusalem d’or, Charles Reznikoff (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 22 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, USA

La Jérusalem d’or, Editions Unes, octobre 2018, trad. anglais (USA) André Markowicz, 48 pages, 15 € . Ecrivain(s): Charles Reznikoff

 

Charles Reznikoff : vers un nouveau « nouveau monde »

Né à Brooklyn de parents russes émigrés aux Etats-Unis (pour fuir les pogroms russes), Charles Reznikoff grandit dans ce qu’il nomma « le ghetto juif de Brownsville ». Il fonde, avec ses amis George Oppen et Louis Zukofsky, le mouvement « objectiviste » soutenu par Ezra Pound et William Carlos Williams.

Ses premières études de juriste sont essentielles pour comprendre les propos de ses travaux poétiques, dont Témoignage Les Etats-Unis 1885-1890 (fondé sur les archives des tribunaux de la fin du XIXe siècle) et Holocauste (instruit sur les compte-rendu des procès de Nuremberg et d’Eichmann et publié aux éditions Unes en 2017). L’auteur y développait une vision factuelle et volontairement « généraliste », dépassionnée le plus possible, des horreurs de l’Histoire, ses cruautés, ses injustices, son arbitraire et l’inhumanité des hommes envers les autres. Mais son livre La Jérusalem d’or est un peu différent. Il s’agit du livre de la réconciliation des identités juives et américaines.

Oaristys et autres textes, Remy Disdero (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 18 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Oaristys et autres textes, Editions Cormor en Nuptial, 128 pages, 2018 . Ecrivain(s): Remy Disdero

 

Les raisons de la colère

Remy Disdero fait pleuvoir des mots en gouttes de nuit. La neige elle-même y semble noire et parfois glisse en cascades et mouvements de foudre. Des soifs voudraient écrire des sources pour nager vers l’arbre-prière sur la brise des échoués. Mais ne restent au bas des pentes et des villes « que le froid de la nuit qui vient à ronger les peaux des clochards ».

Mais il convient toujours, face aux dissolutions, de retrouver une parole charnelle et se laisser faire par elle à la manière d’un Daumal le « funambule » ou de Michaux qui, quoique « bras cassé », resta à sa manière un Icare.

Même les petits bonheurs ne viennent plus de la nature. Celle-ci tourne à un certain désastre. Peu de princesses de l’azur : dans le puzzle humains, beaucoup de pièces sont noires. La paix est rarement au rendez-vous là où les chiens rodent.

Œuvres complètes, Franz Kafka, La Pléiade (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 08 Octobre 2018. , dans La Une Livres, La Pléiade Gallimard, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Nouvelles, Roman

Œuvres complètes, Franz Kafka, La Pléiade, Gallimard, octobre 2018, Tome I, Nouvelles et récits ; Tome II, Romans, trad. allemand 60 € et 55 € jusqu'au 31/03/19 . Ecrivain(s): Franz Kafka Edition: La Pléiade Gallimard

 

Franz Kafka et les célibataires endurcis

Le héros de Kafka est un homme, sans monde, sans famille. C’est un « fils » déshérité, un homme perdu au milieu du monde ou de rien – ce qui est pour lui un peu la même chose. Face à lui – et non seulement dans la Lettre au père – la figure de ce dernier est celle du despote. Elle se développe suivant les œuvres de diverses manières.

Parfois il s’agit du géniteur mais le plus souvent c’est une entité, une machine qui réduit le héros à « un point minuscule » comme le rappelle Robert Lapoujade dans Les existences moindres. Le héros – du moins ce qu’il en reste – est par excellence dépossédé de tout et de lui-même. Sa vie quoique tragique n’est même plus une destinée mais une suite d’instants.

Cette nouvelle édition par ses traductions plus nerveuses et précises montre un être dont le corps lui-même n’est plus sa propriété. Assis, il est plus proche de sa chaise que de lui-même.

J’ai décidé d’arrêter d’écrire, Pierre Patrolin (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 05 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, P.O.L

J’ai décidé d’arrêter d’écrire, octobre 2018, 172 pages, 17 € . Ecrivain(s): Pierre Patrolin Edition: P.O.L

 

La rivière sans retour

L’écriture est une maladie dont on ne guérit pas : Duras l’avait dit, Patrolin le confirme. Il prouve que celui qui s’y engage est ravi, capturé et que rien n’y fait. Son livre devient en conséquence l’histoire d’une fiction qui s’écrit et le roman de l’impossible arrêt de l’écriture.

Ces deux « fils » se tissent, s’entremêlent en ce qui tient d’un échec et d’un désastre. Et d’une réussite. On croit d’abord que la décision d’arrêter d’écrire est au centre de l’histoire, des histoires. Mais c’est l’inverse qui se passe. Entre bordure et absence il existe bien plus que des didascalies du silence mais son perpétuel débordement. Le « comment-taire » est impossible : ne demeure que son commentaire.

Rien ne se passe – du moins en ce qui concerne le désir d’arrêter le cours de la rivière sans retour où tout baigne (héroïne et feuilles de papier). L’écriture se voudrait barrage, elle n’est que typhon au sein de ce qui tient d’une mise en abyme, d’un éblouissement, de la nécessité fatale de l’écriture et de son travail de résistance.