Moby Dick ou Le Cachalot, Herman Melville (par Matthieu Gosztola)
Moby-Dick ou Le Cachalot, avril 2018, édition et trad. anglais (USA) Philippe Jaworski, illust. Rockwell Kent, 1024 pages, 25 €
Ecrivain(s): Herman Melville Edition: Gallimard
Le Times de New York publia, en 1891, la notice nécrologique suivante : « Il vient de mourir et d’être inhumé dans notre ville, cette semaine, à un âge avancé, un homme si peu connu, même de nom, de la génération aujourd’hui dans sa pleine maturité, qu’il ne s’est trouvé qu’un seul journal pour lui consacrer une notice nécrologique, et celle-ci n’était longue que de trois ou quatre lignes ». De quel homme s’agit-il ? Melville. Inconcevable, n’est-ce pas ? Et pourtant cela fut.
« Comme c’est le cas de bien d’autres icônes littéraires américaines, relate Philippe Jaworski dans son excellente introduction, Moby-Dick s’est peu à peu glissé dans tous les recoins de la conscience nationale. […] Accédant au rang de classique universel, la sombre histoire imaginée par Melville n’a pas laissé indifférents cinéastes, musiciens, dessinateurs, illustrateurs, peintres (abstraits aussi bien que figuratifs), adaptateurs en tout genre ».
Mais l’essentiel de la postérité de Moby-Dick ne se trouve ni dans l’industrie de la bimbeloterie culturelle, ni même dans des transpositions cinématographiques ou théâtrales (plus ou moins réussies). C’est dans les œuvres – comment du reste s’en étonner ? – que « le fascinant et redoutable monstre marin a laissé les plus mémorables traces de sa force inspiratrice ».
La première grande force de cette édition de Moby-Dick est, au travers d’un dossier critique fourni, de donner une idée, serait-elle partielle, des réflexions que le monstre marin de Melville a suscitées chez des écrivains et essayistes aussi divers que D. H. Lawrence, Albert Camus, Cesare Pavese… – et « des harponnages littéraires dont il a éveillé le désir chez les romanciers américains » : Jack London, for example.
L’autre grande force de cette édition savante* est de redonner à voir – à penser– le travail de Rockwell Kent. « Nourri de Thoreau et d’Emerson, passionné de littérature classique (il aura illustré Shakespeare, […] Voltaire, le Faust de Goethe, Boccace et Casanova, la poésie de William Blake, de John Donne, de Walt Whitman), amoureux des espaces sauvages et lointains qu’il parcourut dans les années 1910 et 1920 – l’Alaska, le Groenland, la Terre de feu –, et dont il tenta par le dessin de rendre les immensités désolées, Rockwell Kent, qui disait vouloir peindre l’élément primitif, l’infini, “le rythme de l’éternité”, était sans doute l’artiste de sa génération le mieux outillé pour “saluer Melville” par le dessin ». Il a accompagné le texte, chapitre après chapitre, d’une variété étourdissante de dessins : vignettes, culs-de-lampe, pleines pages, demi-pages. Ces illustrations sont des gravures au trait (ou clichés de trait), technique qui révèle la profondeur du noir et la somptuosité des contrastes entre la blancheur (couleur melvilienne par excellence) et un noir qui vit et vibre intensément. Si les 280 dessins de Kent furent publiés en 1930 pour une édition de Moby-Dick en trois volumes (The Lakeside Press of Chicago), ils sont aujourd’hui toujours visibles dans leur intégralité, mais pas en France malheureusement. En effet, il n’existe à ce jour, hors des États-Unis, que deux éditions du roman de Melville comportant la série complète des images de Kent : l’une est japonaise, l’autre allemande. Anyway, ce Quarto sera une parfaite manière de laisser pénétrer en vous l’univers de Melville sublimé par la poésie du trait de Kent.
Matthieu Gosztola
* Comportant des notes éclairantes (figurent en bas de page les informations et élucidations historiques ou littéraires nécessaires à une complète intelligence du texte), un glossaire nautique appréciable et un répertoire fort bien fait incluant les noms propres et les noms de lieux.
- Vu : 2004