Mensonges d'été, Bernhard Schlink
Mensonges d’été, 2012, (Sommerlügen), trad. allemand Bernard Lortholary. 290 p. 21 €
Ecrivain(s): Bernhard Schlink Edition: Gallimard
Sept nouvelles, d’une longueur plutôt inhabituelle, ont été regroupées dans ce recueil sous l’appellation générique : « Histoires ».
Le titre en présente explicitement le thème général.
L’intrigue de L’arrière-saison commence et se poursuit comme au cinéma hollywoodien : Suzan, une dame riche, et Richard, un musicien pauvre à qui elle ne révèle pas sa richesse, se rencontrent et s’aiment. Comme de bien entendu, il est très fâché quand il découvre la vérité. Comme il se doit, ils se réconcilient, bien qu’il supporte mal ce qu’il ressent comme une dépendance, un état inférieur. Comme on s’en douterait, pour corser l’histoire, elle est américaine, il est européen, elle se projette dans l’avenir, il porte en lui le poids de l’Histoire du vieux continent.
« Vous autres Européens, vous êtes des pessimistes. Vous venez de l’Ancien Monde et vous ne pouvez imaginer que le monde devienne nouveau et les êtres humains aussi… »
L’histoire du couple, qui paraît, tout au long du récit, très classique, débute donc par un mensonge, vite éventé, vite pardonné ; mais le vrai mensonge est ailleurs, consubstantiel d’une autre histoire : celle que les deux protagonistes projettent de vivre une fois fermée la parenthèse de hasard qui les a réunis pour quelques jours dans la solitude d’une arrière-saison de station balnéaire.
En conséquence, sans qu’il y ait de scène de rupture, et c’est là ce qui donne à cette nouvelle toute sa saveur, la romance se termine, abruptement, pour Richard, en une crise tragique de brutal retour à la lucidité, par la révélation du mensonge à soi-même sur lequel il s’est construit un futur conjugal.
Avec L’inconnu dans la nuit c’est à un savant montage de construction-déconstruction de la vérité que l’auteur nous convie : la trame narrative s’étoffe bribe après bribe, de façon décousue, par le canal des révélations que fait le personnage central au narrateur, d’abord lorsqu’ils font connaissance au cours d’un voyage en avion, ensuite à l’occasion de nouvelles rencontres espacées dans le temps. Ces « aveux » épars, dévoilant, ou occultant, ou contredisant, telle ou telle part de la vérité, relèvent d’un art maîtrisé de la tension narrative, d’autant plus que la tranche initiale du récit s’inscrit en tiroir, par une étroite intrication, dans la narration parallèle de la situation de danger que vivent le narrateur principal et le narrateur secondaire, l’un des réacteurs de l’avion où ils se trouvent étant en feu : sujet intéressant d’analyse littéraire pour un Gérard Genette…
Quoi qu’il en soit, une question turlupine le récepteur-narrateur, et donc le lecteur : que penser de ces aveux spontanés ?
« Mon voisin venait de tester sur moi son histoire. Il allait devoir bientôt la raconter à la police, au procureur et au juge, et il voulait savoir comment elle serait reçue. Quelle figure il y faisait. Ce qu’il devait laisser de côté et ce qu’il devait enjoliver… »
On aimera également La maison dans la forêt, où la toile de mensonges dans lequel le héros emberlificote peu à peu, poussé par l’amour possessif, exclusif, psychotique qu’il leur porte, son épouse et sa fille, finit, de manière très concrète, par emprisonner, comme en les mailles d’un filet qu’il veut infranchissable, la famille au milieu de nulle part. Tout en conservant les caractères de la nouvelle, La Maison dans la forêt est à rattacher au genre du roman noir, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que Bernhard Schlink a écrit plusieurs romans policiers.
« Il sentit la panique le gagner. Si le lendemain les amis frappaient à la porte, après-demain Kate serait à New York, et tout recommencerait. S’il ne voulait pas de ça, il fallait trouver une idée. Par quels mensonges pourrait-il tenir les amis à distance ? »
Les autres récit sont de la même veine, et tiennent pareillement le lecteur en haleine.
A noter la récurrence, d’une nouvelle à l’autre, du lieu clos, souvent isolé, où les relations entre des protagonistes dont le nombre est réduit au couple peuvent s’exacerber jusqu’au dénouement toujours surprenant.
La traduction est généralement d’un bon niveau littéraire. Un passage maladroit prend un sens tellement incongru qu’il est pardonnable (il faudrait toutefois vérifier si l’incongruité est le fait du traducteur).
« Une fois, elle rêva qu’elle était à un bal et dansait avec un homme qui n’avait qu’un bras mais qui,de l’autre, la conduisait de façon si sûre et si légère qu’elle n’avait pas à remuer les jambes ».
Patryck Froissart
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