Le Nouveau, Philippe Sollers (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Le Nouveau, mars 2019, 144 pages, 14 €
Ecrivain(s): Philippe Sollers Edition: Gallimard
Qui donc sinon Sollers ?
Qu’on le veuille ou non la littérature française ne serait pas ce qu’elle est sans Philippe Sollers. Rares sont de la part d’un écrivain des œuvres aussi diverses : de Paradis (un chef d’œuvre) à Femmes (un best-seller), des œuvres de fiction à celles de philosophe (même s’il ne s’est jamais pris pour tel).
Passant désormais à la fiction courte comme si – avec l’âge – il fallait au créateur ramasser son propos afin de lui donner plus de force, Sollers crée du nouveau avec Le Nouveau. Ce titre est le nom du bateau de l’arrière grand-père de l’auteur. Il fut aussi galopin que lui et son bateau lui servit à retrouver une belle étrangère du côté de l’Irlande. Et qu’importait la force des vents.
A partir de là « nous sommes dans le sud-ouest de la France, vers Bordeaux et ses grands environs, d’où l’ensemble de l’Histoire, peu à peu, se dévoile ». Et les bords sont grands dans cette révision générale de l’histoire au moment où elle claudique (euphémisme) devant les catastrophes annoncées : climatique d’une part et économique de l’autre sous la pression de la féodalité capitaliste mondialisée.
Dans cet effet de bascule et par le jeu du proche et du lointain, l’auteur nous embarque avec comme capitaine et maître de cérémonie Shakespeare. Ce qui permet à l’auteur bien des pirouettes et de mélanger fiction et réalité, imaginaire et analyse.
Le livre emporte. Et si le père d’Hamlet fascine Sollers, il ne l’impressionne pas. Il devient de fait la statue du commandeur du livre. Mais le Don Juan français fait ami-ami avec lui. Et ils ne sont pas seuls. Il y a là Fitzgerald (Ella), Mozart (forcément), Monk, Céline, Heidegger, et on en oublie. Citons néanmoins Henri (1850-1930), le navigateur et arrière grand-père, Edna (1854-1936), l’Amante Irlandaise, Louis (1870-1956), l’escrimeur, Lena (1922-2007), la magicienne. Le tout aux mains de l’enchanteur et farceur. Mais pas que.
Sollers est un fieffé malin et anticipe la critique : « On censurera le plus possible certains de ses livres, et surtout sa revue décalée, Le Nouveau. Pas un mot dans la New French Review bien sûr ». Ce qui n’est pas certain. Mais à cela une bonne raison. L’auteur revient sur un reproche qu’on lui adressa non sans raison. C’était à l’époque de Tel Quel. Sollers épousa la cause de Mao à son pire moment en embarquant derrière lui toute l’intelligentzia français (Barthes compris).
Mais l’habile jouisseur renverse la donne. Certes il reconnaît l’inculture crasse du Grand Timonier qui fut pris pour – entre autres – un zélé poète. Mais le voici sans le moindre malaise évoquer « Un révolutionnaire conséquent du XXe siècle, hautement criminel, avec une personnalité très étrange, a mené, contre l’argent, une guerre radicale ». Preuve que Sollers pourrait se retrouver très vite sur un rond-point avec les gilets jaunes…
Il l’exclut du cercle des fieffés fascistes (Staline himself, Hitler et quelques seconds couteaux). Et nous sommes prêts à croire la phrase de Mao que l’auteur cite : « Le chemin est tortueux, mais l’avenir est radieux ». Et c’est là où toute la verve de Sollers opère : emporté par son lyrisme, le lecteur est prêt à s’excuser d’avoir méjugé l’adolescent de toujours.
Le séducteur une nouvelle fois abasourdit et sonne qui le lit. Et ce n’était pas gagné. Mais une nouvelle fois la force corrosive et comique de l’auteur suit son cours. Installé sur Le Nouveau, nous trinquons à la santé du hâbleur surdoué en sirotant un cocktail inédit fait de vin de Bordeaux, d’alcool de riz et whisky.
Jean-Paul Gavard-Perret
Lire la critique de Philippe Chauché sur la même oeuvre
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