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La Une Livres

2 livres poétiques (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 02 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

 

Vers cela qui n’est pas, Michel Bourçon, éditions La Crypte, 2019, 60 pages, 12 €

 

Ce trente-neuvième livre de poésie de l’auteur creuse encore un peu plus les marques d’un domaine que sa pensée et son écriture circonscrivent ; ce territoire de la marche, du pas intérieur, des éclaircissements sur lui-même.

Pourquoi, au fond, marcher dans ses pas, retendre, au fil des mots, les plis et replis du terrain ?

Bourçon, en de brefs poèmes, dont parfois les parties s’aèrent sur la page, poursuit sa voie : dire le peu avec le peu, l’« imprononçable » que la quête attise ou vise.

« en marge de soi » (p.28) pourrait ordonner l’ensemble des fragments qui situent cette errance porteuse de sens.

La toile d’araignée, Joseph Roth (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 01 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Roman, Gallimard

Edition: Gallimard

Point trace de nostalgie chez Joseph Roth. Son œuvre romanesque, essentiellement nourrie de la fin programmée de l’Autriche et de la Mitteleuropa, est plus souvent un constat accablant de la chute de ce qui avait fait de son pays le centre de l’intelligence et de la créativité européenne. On est loin de la nostalgie naïve de Stefan Zweig. Roth écrit au scalpel.

Dans le Berlin grondant du début de la montée du nazisme – on est en 1922 – un Berlin dévoré par les démons qui vont bientôt l’emporter vers le cataclysme universel, Joseph Roth situe un roman aux accents du désespoir qui s’apprêtait à saisir l’Europe.

Le héros – jamais terme ne colla plus mal à un personnage – Theodor Lohse, est un profond minable animé d’une ambition démesurée. Ancien petit officier de l’armée, il s’introduit pas à pas, à la suite de rencontres flatteuses, dans les réseaux glauques d’une ville gangrénée par les cercles, les sectes, les groupuscules de toutes obédiences, plus douteuses les unes que les autres. Il faudrait imaginer un Julien Sorel pataugeant dans les cloaques idéologiques et moraux de l’Allemagne en nazification. L’abandon de toute morale, de toute référence à des valeurs, au bien et au mal, est condensé dans ce personnage capable de tout, trahir, changer d’avis, n’adhérer à aucun code, assassiner ceux qu’il considère à un moment comme gênants pour sa carrière, sa soif de gloire.

Bach ou le meilleur des mondes, André Tubeuf (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mercredi, 01 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Le Passeur

Bach ou le meilleur des mondes, André Tubeuf, 288 pages, 19,50 € Edition: Le Passeur

 

Si Dieu, « ôtant toute chose », avait donné à Bach la totalité du temps et l’orgue, Bach eût recréé le monde : tel est le pari musical de Tubeuf. Son essai repose sur la phrase de Leibniz, tirée de La Monadologie : « Dum Deus calculat, fit mundus » (tandis que Dieu calcule, le monde se fait). Selon Tubeuf, si le Leibniz mathématicien de génie avait composé de la musique, sans doute aurait-ce ressemblé à L’Art de la fugue. Mais celui de l’optimisme et de la Théodicée aurait plutôt composé la Messe en si. Bach est le plus mathématicien des musiciens et le plus musicien des mathématiciens.

Les analogies sont nombreuses entre la science de Bach et la pensée de Leibniz. Les thèmes des fugues, comme les actes par lesquels Dieu crée les monades, sont des « fulgurations continuelles de la Divinité ». Tous les mondes musicaux existent déjà dans l’entendement infini du compositeur. Par une nécessité morale et non métaphysique, il les génère ; par leur formule propre, ils coexistent selon le principe d’harmonie préétablie. De même, la musique de Bach agit de manière parfaitement autonome et l’art du contrepoint est bien celui de l’harmonie entre toutes les parties.

Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, Georges Didi-Huberman (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 01 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Les éditions de Minuit, Histoire

Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, février 2020, 176 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Georges Didi-Huberman Edition: Les éditions de Minuit

L’image et la « pansée »

Afin de se soustraire à l’ambiguïté qui régit tout protocole de représentation qu’il soit iconique ou linguistique, Didi-Huberman, après avoir travaillé sur les seules photos existantes et les documents sur les fours crématoires (et la polémique que son livre suscita), trouve ici une autre tentative pour parvenir à dire, toucher et atteindre le cœur et la raison – l’inconscient aussi – par le « témoignage » des documents qu’il présente ici.

Didi-Huberman propose le « simple récit-photo » d’un voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie. Il apporte sur le corpus d’images inédites, réunies clandestinement par Emanuel Ringelblum et ses camarades du groupe Oyneg Shabes entre 1939 et 1943, un premier regard et une première analyse.

L’auteur revient sur un point majeur et qu’il a déjà soulevé : « une simple image n’est jamais simple ». D’autant que celles-ci restent inséparables d’une archive de trente-cinq mille pages de récits, de statistiques, de témoignages, de poèmes, de chansons populaires, de devoirs d’enfants dans les écoles clandestines, de lettres jetées depuis les wagons à bestiaux en route vers les camps.

Reflets des jours mauves, Gérald Tenenbaum (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 31 Mars 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Héloïse D'Ormesson

Reflets des jours mauves, Gérald Tenenbaum, octobre 2019, 200 pages, 17 € Edition: Héloïse D'Ormesson

Existe-t-il des affinités aussi mystérieuses que subtiles entre la musique et le code génétique qui, à partir de quarante-six chromosomes, fait qu’aucun être humain ne ressemble exactement à un autre ? Ce même code génétique forme-t-il la figure moderne (mais en réalité éternelle) du destin, du fatum antique ? Se contente-t-il – ce serait déjà beaucoup – de déterminer la couleur de nos yeux, de nos cheveux, la forme de notre nez, ou régit-il également nos goûts, nos actions ? Existe-t-il des affinités plus mystérieuses et plus subtiles encore entre le code génétique et la Kabbale, ce très ancien courant du judaïsme, qui scrute non seulement les mots du texte sacré, mais encore les lettres de chaque mot à la recherche d’un sens caché ? Dieu a créé le monde par un acte de langage.

On le sait, les « littéraires » s’intéressent peu aux avancées scientifiques. George Steiner a écrit à ce sujet une page amère. Au rebours, non seulement les scientifiques cultivent souvent les arts en amateurs éclairés, mais ils nous donnent parfois des œuvres à part entière, comme ces Reflets des jours mauves, dont l’auteur enseigne les mathématiques à l’université de Nancy (on lui doit des ouvrages sur les fascinants nombres premiers, ainsi qu’une Introduction à la théorie analytique et probabiliste des nombres).