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Ada ou l’Ardeur (Ada or Ardor, 1969), Vladimir Nabokov (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 23 Novembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Ada ou l’Ardeur (Ada or Ardor, 1969), Vladimir Nabokov, Folio, trad. américain, Gilles Chahine, 756 pages . Ecrivain(s): Vladimir Nabokov Edition: Folio (Gallimard)

 

Ada ou l’Ardeur est assurément le plus grand roman de Vladimir Nabokov, celui qui déploie tout son génie de l’architecture narrative, toute sa dextérité linguistique et tous ses thèmes favoris. Au-delà même, Ada est probablement le plus grand roman de la littérature amoureuse occidentale contemporaine. L’écriture de Nabokov y est, plus que jamais, éblouissante, englobant le récit dans une phrase à la fois complexe et évidente, conçue dans le moindre détail comme un long poème en prose où assonances et allitérations composent une sonate brillante.

Van se trouva, de façon encore vague et distraite, aux prises avec la science qui devait être plus tard le souci obsédant de son âge mûr : les problèmes du temps et de l’espace, l’espace contre le temps, l’espace distordu par le temps, le temps vu comme espace et l’espace comme le temps, l’espace, enfin, rompant avec le temps dans le triomphe ultime et tragique de la réflexion humaine : « Je meurs, donc je suis ».

Des souris et des hommes (Of Mice and Men, 1937), John Steinbeck (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 09 Novembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard), Cette semaine

Des souris et des hommes, John Steinbeck, Folio, juin 2023, trad. anglais (USA), Agnès Desarthe, 176 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): John Steinbeck Edition: Folio (Gallimard)

 

Brutal et pourtant tendre, rapide et pourtant intense – ces qualificatifs pourraient convenir au septième livre publié par John Steinbeck, en 1937, Des souris et des hommes. Dans cette longue nouvelle ou ce bref roman, le drame, humain, terriblement, affreusement humain, se joue sur trois jours et deux nuits, du vendredi matin au dimanche en fin de journée, de l’arrivée, dans un ranch à « quelques miles au sud de Soledad » en Californie, de George Milton et Lennie Small, deux ouvriers agricoles vagabonds, à l’euthanasie (le mot peut sembler déplacé mais le récit le justifie) du second par le premier après la mort d’une femme entre les mains « dévastatrices » (dixit Joseph Kessel) du simple d’esprit qu’est Lennie. On est autorisé à parler de drame, car Steinbeck a organisé son récit, fulgurant, telle une tragédie, d’ailleurs, avec une progression attendue : sous les caresses de Lennie l’innocent meurent successivement une souris, un chiot puis la femme de Curley, le fils du patron du ranch, avec des effets d’annonce qui laissent présager le drame final : que s’est-il véritablement produit à Weed, quelque temps auparavant ?

Lune de loups (Luna de Lobos, 1985), Julio Llamazares (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 08 Novembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne, Verdier, Cette semaine

Lune de loups (Luna de Lobos, 1985), Julio Llamazares, Editions Verdier Poche, 2009, trad. espagnol, Raphaël Carrasco, Claire Decaëns, 187 pages, 10,20 € Edition: Verdier

 

Après La Pluie jaune (La Lluvia Amarilla), Llamazares continue ses sombres chemins montagneux dans cette novella aux accents obsédants de la peur et de la mort. Lune des Loups (Luna de Lobos) raconte la fuite effarée, dans les forêts du León, de quelques combattants républicains après la Guerre Civile et la victoire des fascistes de Franco. Les héros de ce roman sont les combattants dérisoires d’une guerre déjà perdue. Les résistants de ce maquis montagnard ne résistent plus à personne ni à rien si ce n’est à l’imminence de la mort promise, incarnée par les gardes civils qui les traquent inlassablement. Chaque sente est un piège potentiel, chaque hameau traversé un guet-apens possible. La peur est collée aux pas des hommes, elle suinte de leur corps, de leur esprit, de leur âme. Toute personne rencontrée est une dénonciation virtuelle, une trahison à venir.

Le Loup des mers, Jack London (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 25 Septembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Le Loup des mers, Jack London, trad. anglais (USA), Philippe Jaworski, 480 p. 10,90 € . Ecrivain(s): Jack London Edition: Folio (Gallimard)

En 1904, Jack London publie Le Loup des mers ; ce roman est son quatrième, juste après L’Appel de la forêt et trois recueils de nouvelles dont le thème principal était l’aventure, en particulier dans le Grand Nord. Le thème principal du Loup des mers est aussi l’aventure, mais autant morale que maritime, car il s’agit du récit à la première personne de l’embarquement forcé d’un critique littéraire de la Côte Ouest, Humphrey Van Weyden, sur un phoquier dont le capitaine, par son absence totale de morale et sa brutalité foncière, va lui faire connaître une forme d’épiphanie ténébreuse, ainsi qu’il le constate par son absence de réaction émotionnelle au massacre à coups de poings d’un autre membre de l’équipage :

« Je fus épouvanté de découvrir la pente que prenait ma pensée. La sauvagerie qui régnait à bord avait sur moi un effet corrupteur ; elle promettait de détruire tout ce que la vie offrait de beau et de bon à mes yeux. La raison m’ordonnait de considérer la raclée reçue par Thomas Mugridge comme une horreur et pourtant je ne pouvais m’empêcher d’en éprouver un vif plaisir. Si l’énormité de mon péché m’oppressait – car c’était bien d’un péché qu’il s’agissait –, j’en riais pourtant, d’un rire imbécile. Je n’étais plus Humphrey Van Weyden. J’étais Hump, mousse de cabine à bord de la goélette Fantôme. Loup Larsen était mon capitaine, Thomas Mugridge et les autres étaient mes compagnons de bord, et la couleur dont ils étaient peints déteignait sur moi chaque jour un peu plus ».

Tristan et Iseut (Version Joseph Bédier) (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 20 Septembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, 10/18

Tristan et Iseut (Version Joseph Bédier), 10/18, 183 pages 6,40 € Edition: 10/18

Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ? C’est de Tristan et d’Iseut la reine. Ecoutez comment à grand joie, à grand deuil ils s’aimèrent, puis en moururent un même jour, lui par elle, elle par lui.

(Tristan et Iseut, version de Joseph Bédier)

 

Très au-delà de l’ouvrage de Béroul et/ou d’autres poètes-narrateurs anglo-normands du XIIème siècle, l’histoire de Tristan et Iseut s’est érigée en mythe et, à ce titre, il n’est pas seulement le produit d’un rhizome passé mais aussi – surtout – le fondateur d’une pensée qui va irriguer durant des siècles et des siècles, la culture, l’art, la littérature d’Occident, jusqu’à en devenir une sorte d’« inconscient collectif » qui est en fait une mémoire collective active. La force d’un mythe se mesure au nombre de domaines humains qu’il traverse et celui de nos malheureux héros amoureux interroge autant le problème du Bien et du Mal, de l’innocence et de la culpabilité, du pouvoir et du droit, de la passion amoureuse et de la raison. Rien moins. Il tisse par conséquent une véritable toile sur la vie des hommes et des femmes, les enserrant dans quelque destin toujours funeste.