Voyage à reculons en Angleterre et en Écosse, Jules Verne
Voyage à reculons en Angleterre et en Écosse, février 2018, édition établie par Christian Robin, 256 pages, 21 €
Ecrivain(s): Jules Verne
La ville de Nantes a fait en 1981 l’acquisition d’un lot de manuscrits de Jules Verne, pour la somme de six millions de francs (environ un million d’euros). Il y a toujours quelque chose d’excitant dans les manuscrits d’écrivains, surtout lorsqu’ils recèlent des textes inédits de quelque étendue. C’était le cas, puisqu’on trouvait, parmi ces papiers, une œuvre inconnue, le Voyage à reculons en Angleterre et en Écosse, rédigé après que Jules Verne s’est rendu dans les îles britanniques en 1859. Ce Voyage à reculons en Angleterre et en Écosse n’est certes pas un chef-d’œuvre oublié, mais il se lit sans déplaisir et on y retrouve l’ironie froide du romancier (ainsi cette remarque sur sa cité natale : les voyageurs « essayèrent de tuer le temps en visitant la ville ; mais le temps a la vie dure à Nantes, et ne se tue pas facilement », p.19. On voit que l’édilité nantaise n’a pas été rancunière en acquérant ce manuscrit).
Les relations entre la France et l’Écosse sont anciennes : conclue en 1296, l’Auld Alliance avait pour but de lutter contre la puissance anglaise. Plus tard, le jeune Pierre de Ronsard servit comme page à la cour de Jacques V d’Écosse, qui épousa une princesse lorraine, Marie de Guise, laquelle sera la mère de Marie Stuart et la grand-mère de Jacques VI d’Écosse, qui réunira sa nation à l’Angleterre en 1603, à la mort de la « reine vierge » Élizabeth 1ère. Au temps de Jules Verne, ces considérations historiques pesaient cependant peu, en comparaison de la fascination qu’exerçait l’œuvre de sir Walter Scott. Le Voyage à reculons est également un pèlerinage littéraire, sur les traces des personnages scottiens. Jules Verne n’a pas écrit son récit à la première personne : entre lui et son lecteur s’interpose un personnage fictif, Jacques Lavaret, qui voyage « à reculons », c’est-à-dire qui se rend avec un ami de Paris à Nantes, où il doit s’embarquer pour l’Écosse, et se retrouve à devoir effectuer une longue station à Bordeaux, avant de pouvoir monter vers le Nord. Parmi la production de Jules Verne, le Voyage à reculons est une œuvre mineure, mais bien écrite. L’auteur semble avoir moins le sens de la litote que dans ses romans (ainsi lorsqu’il décrit les classes laborieuses misérables en Angleterre ou qu’il fustige la religion protestante, « vent sec et raide, dont le souffle flétrit l’esprit et le cœur », p.129). L’intérêt du texte réside en outre dans l’éclairage qu’il apporte aux grands romans : l’évocation des gisements de charbon écossais renvoie le lecteur aux Indes noires(1877) ; à Londres, Jacques Lavaret entrevoit le Leviathan, l’énorme paquebot conçu par Isambard Kingdom Brunel, qui deviendra le Great Eastern, navire sur lequel Verne se rendra aux États-Unis et qu’on retrouvera dans Une Ville flottante(1871). Parfait connaisseur de l’œuvre de Jules Verne, Christian Robin observe qu’une mention en apparence aussi anodine que celle-ci (il existe « un moyen bien simple de faire des chants écossais sur le piano, c’est de ne jouer que sur les touches noires ; le hasard a fait que la disposition de l’instrument donnât ce résultat bizarre », p.127-128) se retrouvera dans Vingt mille lieues sous les mers : « Les doigts du capitaine couraient alors sur le clavier de l’instrument, et je remarquai qu’il n’en frappait que les touches noires, ce qui donnait à ses mélodies une couleur essentiellement écossaise » (première partie, chapitre XXII).
On ne conçoit pas d’ouvrage de Jules Verne sans illustrations. Le Voyage à reculons…étant demeuré manuscrit, les illustrateurs de Hetzel (Léon Benett, Alphonse de Neuville, Édouard Riou, Georges Roux, …) ne purent exercer leur imagination et leur talent. Pour cette première édition d’un inédit (parue en 1989 et réimprimée en 2018), les éditions du Cherche-Midi ont puisé dans des revues du temps afin d’orner le texte de Jules Verne. Les notes et les leçons du manuscrit sont rejetées en fin de volume. L’ensemble, digne de toutes les bibliothèques, est satisfaisant pour l’œil et l’esprit.
Gilles Banderier
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