Réveiller les morts, Ron Rash (par Didier Ayres)
Réveiller les morts, Ron Rash, éditions Corlevour, avril 2024, trad. anglais (Etats-Unis) Gaëlle Fonlupt, 170 pages, 18 €
la lumière ne tombait pas mais s’élevait
comme si certaines choses ne pouvaient rester
cachées à jamais mais devaient remonter
à la surface […]
Ron Rash
Amérique
Quel bonheur de découvrir un poète américain. On sait la profusion d’auteurs de grande qualité aux USA, et le livre que publient ici les éditions de Corlevour ajoute une pierre angulaire à ce foisonnement poétique.
De ce fait, on pourrait rapprocher l’écriture de Ron Rash à celle des nouvelles en prose de Raymond Carver, car les poèmes de Rash sont de courtes histoires, des récits brefs et elliptiques. Ainsi, l’arrière-fond de ces poèmes font partie des territoires des States, ceux des cow-boys, terres à conquérir par des pionniers, petits héros de la saga américaine du nord ; même si plus particulièrement nous nous trouvons davantage du côté du Sud des États-Unis, un dixieland de facture faulknérienne.
Aujourd’hui, c’est toujours un pays rude
collines dénudées, vallées sombres, saillies de pierres
grises contre un ciel gris. Ici
les hommes ont disputé les lignes de la carte par le sang,
ont fait de la mort une semence quand
leurs cœurs et leurs actes sont devenus
aussi âpres que le paysage. […]
On peut aussi y voir les échos des peintres américains, d’avant le Pop-Art ou de l’Expressionnisme abstrait. Ainsi, il y a des points de contact de cette poésie avec les images de Caleb Bingham, ou celles d’Andrew Wyeth, ou encore de Grant Wood et son tableau célèbre, American Gothic (1930). Contact conceptuel, surtout au sujet des territoires qui représentent à eux seuls l’Histoire de l’Amérique. Cependant, ce regard, ces micro-récits sont de nature universelle.
Je dis « récit » et je crois que cela se justifie, car on peut gloser que ces formes de textes poétiques, au sens profond du terme, peuvent se penser comme des nouvelles avec des titres (que j’invente pour démontrer mon point de vue) : vie, territoire, travail, l’usine, la pauvreté, un syndicaliste, un philosophe, le travail du coton, la maladie, l’accident, le crime, l’accouchement, la mine, etc.
Très généralement, cette cartographie physique des lieux devient la cartographie du poème. Cette poésie se calque sur des réalités, réalités personnelles qui sont autant d’épopées lentes et fugaces, celles qui soulignent le destin de quelques individus héros éphémères pris dans une grande Histoire.
Tous étaient des baptistes endurcis, des fermiers
qui croyaient que l’âme était une autre graine
survivant à la chair et au sang,
que toute chose plantée s’élève vers le soleil.
Toujours est-il que nous restons dans le monde de la working-class blanche du Sud de l’Amérique, au milieu de personnes laborieuses et disetteuses, arc-boutées sur une mythologie (est-elle issue des cultures totémiques des Indiens, restes et ruines qui s’agglomèreraient dans le tissu imaginaire des Américains ?), son espace, sa poétique, ses terres. Cette poésie est bel et bien une excavation au sein des mythes des USA, qui s’écrit comme en creux sur quelque chose qui a disparu, mais pas suffisamment lointain dans le temps pour en faire une Histoire historique.
Concluons avec le poète :
Maintenant, incline la tête et bientôt
tu verras comme à travers un miroir
non pas une rivière mais une route
qui coule en dessous de toi.
Didier Ayres
- Vu: 1066